Brazzaville, vigie stratégique au cœur du bassin du Congo
Depuis la recrudescence des violences en République centrafricaine, les chancelleries de la sous-région observent avec une prudence accrue la cartographie mouvante des groupes armés. Brazzaville, engagé de longue date dans les mécanismes de la CEEAC et de la CIRGL, s’emploie à articuler impératifs de sécurité intérieure et responsabilité régionale. « Notre posture est celle d’un voisin vigilant, mais aussi d’un facilitateur », confie un diplomate congolais croisé à la Maison de la CEMAC (entretien, mai 2024).
Cette posture découle d’une double contrainte. Sur le plan interne, la République du Congo tient à sanctuariser un corridor commercial vital entre Pointe-Noire, Brazzaville et Bangui. Sur le plan externe, elle s’érige en partenaire fiable pour ses alliés, qu’ils soient africains, européens ou multilatéraux, soucieux de contenir l’expansion d’acteurs non étatiques jusqu’aux rivages de l’Atlantique.
Une constellation rebelle en mutation permanente
La Coalition des patriotes pour le changement, formée fin 2020, demeure l’agrégateur principal d’une galaxie de mouvements aux agendas parfois contradictoires. UPC d’Ali Darassa, FPRC de Nourredine Adam, 3R désormais dirigé par Sembé Bobbo : chacun contrôle des portions de territoire, des ressources minières et des couloirs transfrontaliers où circulent armes légères, bétail et or. La fragmentation structurelle produit une conflictualité diffuse, rendue plus volatile encore par l’usage de drones artisanaux récemment documenté près de Ndele (source sécuritaire onusienne, janvier 2024).
À cette équation s’ajoutent des milices d’autodéfense, tels les Azandé Ani Kpi Gbe dans le Mbomou, et des auxiliaires pro-gouvernementaux comme les « Russes noirs ». Si ces derniers restent focalisés sur le théâtre centrafricain, leur mobilité et leurs filiations transfrontalières inquiètent les États limitrophes, à commencer par le Congo-Brazzaville, qui redoute un effet de contagion dans la Likouala et la Sangha.
La doctrine de prévention silencieuse du Congo-Brazzaville
Écartant toute option d’intervention directe, les autorités congolaises privilégient une diplomatie de couloir axée sur la prévention des débordements et la consolidation des cadres juridiques régionaux. Le président Denis Sassou Nguesso, doyen respecté des processus de paix africains, a rappelé lors du sommet extraordinaire de Luanda en décembre 2023 « l’urgence d’un dialogue inclusif en Centrafrique adossé à une architecture de sécurité collective robuste ».
Concrètement, Brazzaville soutient la stratégie intégrée des Nations unies pour le Sahel et l’Afrique centrale, tout en plaidant pour un renforcement du Comité des services de renseignement de l’Afrique centrale (CISAC). Cette instance, inspirée de l’Union africaine, facilite depuis 2022 l’échange quasi-temps réel d’alertes sur les déplacements de colonnes rebelles vers les axes fluviaux Oubangui-Congo.
Coopérations sécuritaires et diplomatie économique
Parallèlement, Brazzaville renforce la patrouille fluviale conjointe avec Bangui, issue du protocole signé à Ouesso en 2021, et modernise les postes-avancés de Impfondo et Betou grâce à une assistance technique sud-africaine. Sur le front diplomatique, le Quai d’Orsay congolais multiplie les consultations discrètes avec Kigali, Luanda et Abuja afin d’harmoniser les approches vis-à-vis des partenariats extérieurs, notamment russes et européens.
Cette coopération s’étend aussi au domaine économique. La sécurisation de la voie fluviale Oubangui-Congo constitue un gage de continuité pour le trafic de grumes, de sucre et de carburants entre les deux capitales. Toute interruption prolongée, telle que celle provoquée par l’attaque du poste de Béloko en janvier 2023, coûterait plusieurs points de croissance aux deux économies, rappellent les experts de la Banque africaine de développement.
Quels scénarios pour la stabilité régionale ?
À court terme, les opérateurs de sécurité estiment plausible une recrudescence d’incidents frontaliers, la saison sèche favorisant la mobilité des combattants. Toutefois, l’activation coordonnée des mécanismes de la CEEAC, conjuguée au dialogue de Bangui avec certains chefs de groupes, pourrait contenir le risque d’essaimage vers le sud-ouest.
Sur l’horizon 2025, l’équation dépendra de trois facteurs : la capacité de la MINUSCA à demeurer opérationnelle malgré les contraintes budgétaires ; l’évolution des alliances tactiques entre groupes rebelles concurrents ; et, enfin, la solidité du consensus sous-régional, dont le Congo-Brazzaville demeure l’un des pivots. Dans les allées du ministère congolais des Affaires étrangères, on martèle qu’« aucune paix durable ne sera possible sans une synergie diplomatique crédible et la relance économique de la Centrafrique ». Un credo qui résume la ligne de Brazzaville : engager, convaincre, stabiliser.