Une déflagration qui brise le rite républicain du baccalauréat
Le baccalauréat constitue, dans la jeune République centrafricaine, un rare moment de cohésion nationale. Mercredi 25 juin 2025, alors que 5 300 candidats s’installent pour l’épreuve de physique au lycée Barthélémy-Boganda, une violente déflagration interrompt la solennité. Le transformateur de la société nationale d’électricité ENERCA, installé contre l’aile nord de l’établissement et en maintenance hâtive, explose à 13 h 08 selon le chronogramme officiel. La rumeur d’une attaque armée se répand instantanément, attisée par la mémoire encore vive des incursions de groupes rebelles dans la capitale.
Ce réflexe de survie, hérité d’une histoire sécuritaire accidentée, déclenche une ruée vers les couloirs exiguës. Les grilles restent verrouillées de l’intérieur pour éviter les sorties anticipées pendant l’examen. Le goulot d’étranglement se referme. Certains élèves bondissent du premier étage, d’autres sont piétinés. En huit minutes, la bousculade fait 29 morts, 267 blessés et un traumatisme collectif pour une génération déjà éprouvée.
Un réseau électrique vétuste au cœur des responsabilités
Le transformateur incriminé n’était pas un simple équipement annexe : il alimentait les salles d’examen climatisées, un luxe rare censé garantir des conditions équitables. D’après la direction technique de l’ENERCA, l’appareil avait dépassé de dix-sept ans sa durée de vie nominale et fonctionnait sans parafoudre depuis la dernière saison des pluies. Les agents mandatés pour la réparation reconnaissent, sous couvert d’anonymat, qu’aucun protocole de mise hors tension totale n’a été appliqué afin de « ne pas compromettre la session ».
Cette négligence ouvre la voie à une cascade de fautes potentielles : absence de plan de confinement, maintenance effectuée pendant une épreuve nationale, et non-respect des normes de sécurité électrique adoptées en 2022 avec l’appui de la Banque mondiale. Pour le Bloc républicain pour la défense de la constitution, principale force d’opposition, « l’État a joué à la roulette russe avec la vie de ses enfants ». Le gouvernement rétorque qu’une enquête indépendante, assistée par l’Organisation internationale de la francophonie, déterminera la chaîne exacte de responsabilités.
La gestion de crise, révélateur des fragilités institutionnelles
Depuis Bruxelles, où il participe au Forum UE-Afrique, le président Faustin-Archange Touadéra décrète trois jours de deuil national et écourte son séjour. À Bangui, la cellule de crise est confiée au ministre de l’Intérieur, chargé d’organiser le secours médical dans des structures hospitalières déjà saturées par la dengue saisonnière. Les blessés sont répartis dans six hôpitaux publics et deux cliniques privées, avec un appui logistique de la MINUSCA qui déploie deux ambulances blindées pour sécuriser les transferts.
Le dispositif, salué par le Comité international de la Croix-Rouge pour sa rapidité relative, ne parvient toutefois pas à apaiser la colère populaire. Devant les grilles calcinées du lycée, des parents allument des bougies et réclament un accompagnement psychologique pérenne. La société civile dénonce « un État pompier » qui ne s’illustre que dans l’urgence, sans stratégie de prévention. Le cabinet présidentiel annonce la création d’un fonds d’indemnisation mais omet de préciser son financement, alimentant la suspicion sur l’exécution budgétaire.
Pressions diplomatiques et impératifs de gouvernance
L’onde de choc dépasse les frontières. À Paris, le Quai d’Orsay exprime sa « solidarité » tout en rappelant son appui financier aux réformes du secteur énergétique centrafricain. La Banque africaine de développement conditionne pour sa part le décaissement d’une tranche de 25 millions de dollars à l’adoption d’un audit exhaustif des infrastructures scolaires. Ce cadrage international place Bangui dans une posture délicate : reconnaître la défaillance systémique tout en préservant sa souveraineté décisionnelle.
« La tragédie du lycée Boganda oblige le gouvernement à accélérer la professionnalisation de la protection civile », estime une diplomate de l’Union européenne. Selon un conseiller de la présidence, l’option d’un partenariat public-privé pour moderniser le réseau électrique est de nouveau sur la table, malgré les réticences historiques suscitées par la privatisation des biens stratégiques. Les discussions explorent aussi la création d’un corps national de sécurité scolaire, inspiré du modèle rwandais, pour harmoniser les plans d’évacuation.
Du deuil à la réforme : quelles perspectives pour la Centrafrique ?
Au-delà de l’émotion, le drame de Boganda cristallise une question essentielle : comment bâtir une gouvernance qui protège la jeunesse, principal capital humain d’un pays à la démographie galopante ? Les observateurs notent que la mise en place d’un système d’alerte précoce, la certification des appareils électriques et l’entraînement régulier des élèves aux exercices d’évacuation figurent désormais à l’agenda du cabinet du Premier ministre.
Reste l’impondérable politique. À dix-huit mois d’une élection présidentielle sous tension, la réponse de l’exécutif sera scrutée comme un indicateur de sa capacité à traduire les leçons apprises en réformes tangibles. Le monument commémoratif promis par la mairie de Bangui ne suffira pas à juguler le scepticisme si les diplômés de demain continuent de composer dans des bâtiments périlleux. La Centrafrique, forte d’une résilience souvent admirée, se trouve à l’orée d’un tournant : transformer un deuil national en catalyseur d’un État protecteur ou, à défaut, prolonger un cycle de crises évitables.