Ce qu’il faut retenir
Le décès de Georges Anicet Ekane, président du Manidem, survenu dans la nuit du 1er décembre au Secrétariat d’État à la Défense, suscite émoi dans la classe politique camerounaise et relance le débat sur la gestion des détenus politiques.
La famille affirme qu’un manque de soins adaptés a aggravé ses pathologies respiratoires chroniques; le ministère de la Défense assure, au contraire, qu’un suivi médical approprié lui était donné et qu’une enquête interne déterminera les circonstances exactes du drame.
Entre hommage spontané à Douala, indignation sur les réseaux sociaux et appels au calme de Yaoundé, le pays cherche un équilibre délicat pour éviter que la disparition de ce vétéran de la gauche nationaliste n’enflamme davantage une scène politique déjà polarisée.
Derniers instants au SED
Arrêté le 24 octobre au siège de son parti, Ekane avait été transféré dans la capitale puis placé dans les locaux du SED, centre névralgique de la gendarmerie; ses avocats n’ont cessé de dénoncer une détention sans inculpation formelle.
Maître Emmanuel Simh, sa voix encore brisée, raconte avoir déposé le corps de son client à la morgue à l’aube, un épisode qu’il qualifie de « moment le plus sombre » de sa carrière de défenseur des libertés publiques.
Selon un porte-parole du Manidem, l’épouse d’Ekane aurait été convoquée par l’hôpital militaire avant qu’on ne lui montre simplement la dépouille, sans autre explication immédiate, renforçant la suspicion de ses partisans.
Parcours d’un nationaliste camerounais
Né en 1951, l’étudiant devenu militant rejoint l’Union des populations du Cameroun en 1973, avant de créer le Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie vingt-deux ans plus tard, convaincu que le rêve d’un Cameroun souverain passait par une gauche unie.
Arrêté en février 1990 puis gracié la même année, Ekane bâtit sa réputation sur la dénonciation du tribalisme, de la corruption et sur le plaidoyer pour les étudiants, positionnant son parti comme boussole morale d’une opposition fragmentée.
En 2025, il rejoint la plateforme Union pour le Changement, soutenant la candidature unitaire d’Issa Tchiroma Bakary à la présidentielle du 12 octobre; un choix qui lui vaudra de nouvelles inimitiés au sein du champ contestataire.
Arrestation et charges judiciaires
Pour Yaoundé, l’appui d’Ekane à l’autoproclamation de victoire de Tchiroma constituait une incitation au soulèvement populaire, justifiant son arrestation pour hostilité envers la patrie, révolution, incitation à la révolte et appel à l’insurrection.
Ses avocats rétorquaient qu’aucune décision de justice n’avait été rendue, décrivant une détention préventive sans cadrage légal, tandis que le parti Manidem dénonçait des « conditions inhumaines » et la confiscation de l’extracteur d’oxygène indispensable à son état.
La question des conditions de détention
Le 15 novembre 2025, Me Hippolyte Meli Tiakouang demandait formellement la restitution du matériel médical, rappelant que son client souffrait de problèmes respiratoires chroniques; la requête resta lettre morte, nourrissant les accusations de privation de soins essentiels.
Le ministère de la Défense, par la voix du Capitaine de Vaisseau Atonfack Guemo Cyril Serge, assure qu’Ekane bénéficiait d’une « prise en charge conforme ». Le communiqué annonce l’ouverture d’une enquête administrative destinée à lever tout doute sur le déroulement de son hospitalisation.
Les organisations camerounaises de défense des droits humains, privées d’accès direct au SED, peinent pour l’heure à corroborer ou infirmer ces versions contradictoires, alimentant un climat de suspicion qui rappelle les précédents dossiers de détenus politiques malades.
Réactions nationales et internationales
Dans la matinée, des sympathisants se sont massés devant le siège du Manidem à Douala, immédiatement encerclé par les forces de sécurité; les autorités locales appellent au respect de l’ordre public, tandis que les familles redoutent une escalade.
L’Union européenne, exprimant son « regret » face à la disparition d’un « militant engagé », réitère sa demande de libération des personnes détenues à la suite du scrutin présidentiel; de leur côté, les ministres camerounais exhortent les citoyens à la retenue.
Enjeux pour l’opposition camerounaise
Pour le politologue Aristide Mono, la mort d’Ekane crée « une certaine peur » et symbolise une « brimade politique » susceptible d’éroder davantage la confiance entre gouvernants et opposants, à quelques mois de législatives déjà sensibles.
Dans les rangs de l’opposition, certains redoutent un effet dissuasif sur la mobilisation, d’autres, au contraire, y voient un catalyseur susceptible de fédérer les formations éclatées autour d’un agenda commun de réformes démocratiques.
Et après ? Les scenarii possibles
L’enquête administrative promise sera scrutée comme un test de transparence institutionnelle; son déroulement pourrait apaiser les tensions ou, en cas d’opacité, raviver le grief d’impunité. Le devenir du Manidem, orphelin de son fondateur, pèsera aussi sur la recomposition politique.
Si l’opposition parvient à transformer l’émotion populaire en stratégie unifiée, le champ politique camerounais pourrait connaître un nouvel équilibre. À l’inverse, l’absence de dialogue renforcerait la polarisation actuelle, laissant peser l’ombre d’Ekane sur les prochains scrutins.
