Forum de Brazzaville
Réunis à Brazzaville les 18 et 19 août, diplomates, financiers et industriels ont planché sur la compétitivité de la filière ciment congolaise sous l’œil attentif du ministre d’État, Antoine Thomas Nicéphore Fylla Saint Eudes, déterminé à transformer l’atout minéral national en levier stratégique de croissance.
Le forum, organisé avec l’appui de la Banque africaine de développement, a permis de croiser analyses macroéconomiques, retours d’expérience d’opérateurs et attentes des maîtres d’ouvrage publics afin d’élaborer une feuille de route qualifiée de réaliste par plusieurs partenaires techniques.
Cette démarche s’inscrit dans la dynamique imprimée par le Plan national de développement 2022-2026, qui fixe l’industrialisation comme seconde priorité après la consolidation budgétaire, et ambitionne de faire du Congo un fournisseur régional capable de réduire le coût des infrastructures intégratrices.
La filière ciment au cœur de la diversification
Trois groupes se partagent aujourd’hui l’essentiel de la production nationale, chiffrée à près de 3,2 millions de tonnes, pour une consommation intérieure estimée à 1,8 million, laissant un volant exportable convoité par les marchés de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale.
Pour les économistes présents, la courbe haussière de la demande régionale offre au Congo une opportunité d’effet d’échelle, à condition d’améliorer la logistique portuaire et ferroviaire qui pèse actuellement jusqu’à 18 % du prix final, selon un diagnostic dévoilé lors des travaux.
Le ministre a rappelé que la filière ciment génère déjà plus de 2 500 emplois directs et qu’une montée en capacité de 25 % pourrait créer 700 postes additionnels, contribuant ainsi aux objectifs de diversification voulus par le président Denis Sassou Nguesso pour réduire la dépendance aux hydrocarbures.
Enjeux régionaux et diplomatie économique
Brazzaville compte capitaliser sur la ratification récente de la Zone de libre-échange continentale africaine pour positionner ses cimenteries comme fournisseurs privilégiés des projets routiers et énergétiques de la sous-région, à l’heure où l’intégration physique demeure un préalable à la stabilité commerciale.
Le forum a vu intervenir l’ambassadeur de la République démocratique du Congo, qui a salué la baisse de 12 % du prix moyen du sac congolais depuis 2022, qualifiant ce mouvement d’exemple concret de solidarité économique Sud-Sud sans impact négatif sur les recettes fiscales.
Selon le centre de recherche ECA Strategy basé à Addis-Abeba, l’amélioration des coûts logistiques entre Pointe-Noire et Kinshasa pourrait accroître de 150 000 tonnes par an les flux sortants de ciment congolais, augmentant la part de marché régionale du pays de trois points d’ici 2026.
Gestion environnementale et innovation
Si la compétitivité demeure le maître-mot, la question carbone s’impose aussi, le ciment représentant jusqu’à 7 % des émissions mondiales. Les autorités congolaises misent sur l’introduction de combustibles alternatifs issus de la biomasse forestière certifiée pour abaisser l’empreinte climatique des fours.
Une convention de recherche appliquée a été signée avec l’université Marien-Ngouabi pour tester des ajouts pouzzolaniques locaux susceptibles d’économiser 15 % de clinker. D’après le professeur Célestin Ibata, ce programme pourrait positionner le Congo comme pionnier d’un ciment plus vert au niveau sous-régional.
Le secteur bancaire, représenté par la BGFI, a confirmé l’ouverture d’une ligne verte de 40 millions de dollars, conditionnée à la certification ISO 14001 des unités bénéficiaires. Selon la banque, cette orientation réduira le risque de réputation et sécurisera l’accès aux financements climatiques multilatéraux.
Perspectives de gouvernance partagée
Pour consolider ces avancées, les participants ont recommandé la création d’un observatoire public-privé chargé de publier un indice trimestriel des prix départ-usine et de suivre les indicateurs sociaux, environnementaux et concurrentiels, à l’image de l’initiative mise en place dans la filière cacao ivoirienne.
Le ministère a, de son côté, annoncé une révision du cadre fiscal pour encourager la modernisation des installations. Les amortissements accélérés sur les filtres électrostatiques et la suppression des droits d’accise sur le gypse devraient entrer en vigueur dès la prochaine loi de finances.
L’Association congolaise du ciment a salué cette orientation, tout en invitant les autorités à veiller à la discipline concurrentielle. ‘Nous avons besoin d’un marché ouvert mais régulé pour attirer les capitaux sans tomber dans la surcapacité’, a déclaré son président, Aristide Moussounda.
À l’issue des échanges, un comité restreint formulera d’ici novembre un projet de décret visant à entériner la stratégie sectorielle. Plusieurs experts considèrent ce calendrier resserré comme un signal politique fort destiné à rassurer les investisseurs et à accélérer la redynamisation industrielle du pays.
Les partenaires techniques ont souligné l’importance d’une transparence accrue dans l’octroi des carrières de calcaire. Une plate-forme numérique de gestion des titres miniers, inspirée du modèle rwandais, devrait être déployée afin de réduire les délais administratifs et d’accélérer la bancabilité des nouveaux projets.
Enfin, plusieurs orateurs ont rappelé que la durabilité sociale restait au cœur des attentes internationales. Le ministère du Travail prépare un guide de bonnes pratiques couvrant sécurité des ouvriers, égalité femmes-hommes et formation continue, lequel servira de référence aux négociations collectives prévues en début d’année prochaine dans le secteur.