Un palier de mille milliards qui redessine les équilibres
Les officiels réunis à Malabo ont vu s’afficher sur l’écran géant un chiffre aussi net que symbolique : 1 000 milliards de dollars de produit intérieur brut agrégé pour le Marché commun de l’Afrique orientale et australe. À l’échelle du continent, cette performance concentre près du tiers de la richesse créée, rappelant que le grand bassin qui s’étend de la mer Rouge au Zambèze assume désormais un rôle de locomotive régionale. L’énoncé, porté par le président burundais Évariste Ndayishimiye, présidant actuellement la conférence des chefs d’État du COMESA, a rapidement fait écho dans les chancelleries africaines où l’on cherche, chiffres à l’appui, des signaux tangibles d’une Afrique qui consolide ses propres pôles de croissance.
Pour le corps diplomatique en poste à Brazzaville, cet indicateur donne de la substance à l’idée, souvent invoquée par le président Denis Sassou Nguesso, d’« une Afrique des cercles concentriques », chaque organisation sous-régionale renforçant la suivante. Car si la République du Congo n’appartient pas formellement au COMESA, elle partage avec lui l’ambition d’une industrialisation adossée à un marché intérieur consolidé, préalable essentiel à la Zone de libre-échange continentale africaine.
Flux commerciaux : l’expansion douce d’un marché de 640 millions d’âmes
En 2024, les exportations cumulées des vingt et un États membres ont atteint 219 milliards de dollars, quand les importations culminaient à 279 milliards. L’ampleur de ces flux, équivalant à plus d’un tiers des échanges africains, signale une densification de chaînes logistiques jusqu’alors cantonnées aux corridors maritimes. Les diplomates congolais présents à Addis-Abeba soulignent que cette vitalité commerciale, même extérieure à la CEMAC, irrigue progressivement l’ensemble du continent via les synergies portuaires et aériennes.
C’est notamment le cas de Pointe-Noire, dont les autorités envisagent un renforcement de capacités pour capter le recalibrage des routes maritimes entre l’océan Indien et l’Atlantique. Un haut fonctionnaire du ministère congolais des Finances glisse que « l’essor du COMESA représente un appel d’air logistique auquel notre façade maritime ne saurait rester sourde ».
La révolution numérique, fil invisible de l’intégration
De Harare à Nairobi, la digitalisation des procédures douanières réduit les délais, sécurise les paiements et installe une confiance nouvelle entre opérateurs. L’ascension des échanges intra-COMESA, passés de 2 milliards de dollars en 2000 à 14 milliards en 2024, illustre la valeur ajoutée d’une transformation numérique méthodique. Dans les couloirs de la Commission de la CEMAC, l’on observe avec intérêt ces progrès qui pourraient inspirer les discussions techniques actuellement menées entre Brazzaville, Yaoundé et Libreville sur la dématérialisation des titres de transit.
Le président Ndayishimiye, saluant cette dynamique, a insisté sur « la capacité des plateformes numériques à abolir les frontières mentales qui freinent l’intégration ». Une assertion qui trouve un écho particulier au Congo-Brazzaville, où la stratégie nationale de développement du numérique, portée par le ministre Léon-Juste Ibombo, réserve une large part à l’interopérabilité régionale.
Confluences avec la CEMAC : Brazzaville en vigie stratégique
Vue depuis le palais du peuple, l’ascension du COMESA agit comme un laboratoire grandeur nature. Dans un entretien accordé à la presse locale, un conseiller diplomatique de la présidence congolaise confiait que « la complémentarité entre blocs sous-régionaux conditionne la crédibilité économique de l’Union africaine ». Le propos renvoie à l’idée d’une convergence graduelle entre la CEMAC, la SADC et le COMESA afin d’éviter la fragmentation réglementaire.
Le Congo, fort de son rôle historique de médiateur régional, milite pour que les progrès enregistrés à l’est irriguent la rive ouest du continent. À Brazzaville, cette posture se traduit par un plaidoyer en faveur de corridors interconnectés et d’un maillage énergétique transfrontalier. Dans les rapports remis au comité national de suivi de la ZLECAF, les analystes congolais identifient déjà les segments où la coopération avec le COMESA pourrait produire des gains rapides : interopérabilité des régimes douaniers, mutualisation des infrastructures de données et harmonisation des normes phytosanitaires.
Vers un continuum continental : entre promesses et vigilance
La trajectoire ascendante du COMESA nourrit l’optimisme sans occulter les défis. Les diplomates africains s’accordent sur la nécessité d’une montée en gamme industrielle pour consolider la valeur ajoutée, faute de quoi la progression des importations pourrait anémier les balances commerciales. Les tensions géopolitiques en mer Rouge, la vulnérabilité des chaînes logistiques face aux chocs climatiques ou sanitaires, et la question récurrente du financement des infrastructures demeurent des variables à surveiller.
À Brazzaville, la position officielle reste prudente mais résolument constructive. Citant l’exemple du Fonds bleu pour le Bassin du Congo, le président Denis Sassou Nguesso rappelle que la croissance ne peut être durable sans un socle environnemental robuste. Dans cette perspective, l’expérience du COMESA, qui cherche à verdir ses chaînes de valeur, offre une plateforme d’échanges techniques de plus en plus recherchée.
Au final, le cap franchi par le COMESA apparaît moins comme une ligne d’arrivée que comme un repère intermédiaire dans la longue marche de l’intégration africaine. L’enjeu, pour les capitales du continent, consiste désormais à capitaliser sur cette dynamique sans perdre de vue la cohésion entre espaces régionaux. Le Congo-Brazzaville, fidèle à son magistère diplomatique, entend contribuer à cette partition collective, convaincu que l’harmonie économique demeure l’un des meilleurs gages de stabilité politique.