La décentralisation au cœur de la gouvernance congolaise
Depuis la promulgation de la loi organique sur la décentralisation, Brazzaville s’est engagée dans une démarche progressive visant à rapprocher l’action publique des citoyens. Vue de l’extérieur, cette orientation illustre la volonté du président Denis Sassou Nguesso de consolider un État unitaire tout en valorisant la subsidiarité. L’entretien tenu le 17 juillet entre le Président du Sénat, Pierre Ngolo, et le Pr Jean Girardon, maire de Mont-Saint-Vincent et professeur à la Sorbonne, a ravivé ce débat stratégique. L’expert français a salué un choix de gouvernance qui, selon lui, « conditionne la qualité même de la démocratie », tout en rappelant qu’une décentralisation efficace repose sur un équilibre subtil entre compétences transférées et ressources pérennes.
Compétences transférées et réalités budgétaires
Au fil des dernières réformes, les collectivités congolaises se sont vu confier la gestion de secteurs cruciaux – habitat, petite enfance, aménagement urbain. Ces avancées sont unanimement reconnues par les partenaires bilatéraux, l’Union africaine et les institutions spécialisées. Néanmoins, le Pr Girardon avertit : conférer des attributions sans contrepartie financière « revient à condamner l’action locale à l’inefficacité ». L’analyse budgétaire montre que la part des transferts de l’État destinée aux communes demeure en-deçà des besoins calibrés par les études du ministère des Finances, en particulier pour les investissements structurants hors-capitale. Les exécutifs locaux, qui assument déjà la gestion courante, peinent à dégager des marges pour soutenir l’essor des écosystèmes ruraux, pourtant essentiels à la diversification économique voulue par le Plan national de développement 2022-2026.
Le statut des élus locaux en mutation
La déconcentration des responsabilités pose inévitablement la question du statut de celles et ceux qui les incarnent. Dans un pays où la fonction publique d’État reste la colonne vertébrale de l’emploi, la charte des élus locaux conserve une portée symbolique forte. « Le statut joue un rôle quantitatif et qualitatif », note Jean Girardon. Il favorise la participation de profils divers et encadre leur comportement, gage de probité pour l’opinion publique et les bailleurs multilatéraux. À Brazzaville, la révision envisagée du cadre juridique entend sécuriser davantage les droits et obligations des maires et conseillers, tout en clarifiant leur responsabilité financière. Plusieurs parlementaires estiment qu’un tel toilettage consolidera la gouvernance territoriale et réduira les risques de redondance administrative.
Vers un nouveau pacte financier local
La question des moyens reste centrale. Des sources proches du ministère délégué chargé de la Décentralisation laissent entendre qu’un mécanisme de péréquation pourrait être élargi dès l’an prochain, inspiré du Fonds national d’appui au développement local mis en place dans d’autres États de la CEMAC. L’idée suscite l’intérêt des communes côtières qui financent déjà une large partie de leur fonctionnement via des ressources propres, notamment les redevances portuaires. Dans l’arrière-pays, les recettes fiscales étant plus modestes, un fonds de solidarité permettrait de corriger les disparités et de soutenir des projets phares tels que la réhabilitation des routes communautaires ou l’accès à l’eau potable.
Ouverture internationale et échanges d’expertise
La présence à Brazzaville d’un élu français chevronné illustre le changement d’échelle de la réflexion congolaise. Le gouvernement encourage un benchmarking international assumé, « signe de maturité pour une jeune démocratie », selon le Pr Girardon. Dans la pratique, plusieurs jumelages entre villes congolaises et collectivités européennes ont déjà donné lieu à des transferts de savoir-faire, notamment dans la gestion des déchets et l’aménagement des espaces verts. Cette coopération horizontale complète les programmes structurants portés par la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, centrés sur les infrastructures de base. Elle conforte également l’image d’un Congo désireux de dialoguer, atout diplomatique dans un contexte régional parfois instable.
Stabilité institutionnelle et perspectives d’efficacité
En toile de fond, la stabilité institutionnelle demeure un facteur de crédibilité. Sous l’égide du chef de l’État, les réformes de décentralisation se déploient dans un climat politique maîtrisé, propice à la planification pluriannuelle. Les partenaires techniques soulignent qu’un tel environnement améliore la prévisibilité des financements. Reste à transformer l’intention en résultats tangibles. L’éventuelle adoption d’un pacte financier renforcé, couplée à une clarification du statut des élus, pourrait offrir aux communes et aux départements les leviers indispensables pour répondre aux attentes sociales. Dans ce schéma, la décentralisation congolaise s’affirme non seulement comme un instrument de gouvernance interne, mais aussi comme une vitrine de modernité institutionnelle pour le pays sur la scène internationale.