Brazzaville sous les projecteurs onusiens
Le 9 août 2025, la Journée internationale des peuples autochtones aura pour thème « Les peuples autochtones et l’intelligence artificielle : défendre les droits, façonner l’avenir ». L’écho de ce mot d’ordre résonne particulièrement au Congo-Brazzaville, où le ministre de la Justice, des Droits humains et de la Promotion des peuples autochtones, Aimé Ange Wilfrid Bininga, a renouvelé devant la presse son « attachement indéfectible à la dignité et au génie créatif des communautés autochtones ». Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, le gouvernement veut saisir l’opportunité technologique pour renforcer des droits déjà consacrés par le législateur. L’objectif affiché est clair : faire de l’intelligence artificielle un instrument au service de la cohésion nationale, plutôt qu’un amplificateur d’inégalités.
Diplomatie des droits et innovation numérique
Au siège des Nations unies, les négociateurs congolais insistent depuis plusieurs années sur la corrélation entre inclusion numérique et stabilité sociopolitique. Pour Brazzaville, garantir un accès équitable à l’internet haut débit dans les zones forestières où vivent les Teke, les Mbendjele ou les Aka équivaut à consolider la paix sociale. « La technologie n’est pas une fin, c’est un levier de souveraineté partagée », glisse un conseiller du ministère des Affaires étrangères. D’où la coopération renforcée avec l’Union internationale des télécommunications et la Banque africaine de développement, lesquelles soutiennent la connectivité des sites pilotes de Impfondo et de Sibiti, destinés à former de jeunes autochtones aux métiers du codage et de la maintenance réseaux.
Une architecture juridique précurseur en Afrique
Rappelant que le Congo fut, dès 2011, le premier État africain à doter les populations autochtones d’un cadre légal spécifique, le ministre Bininga souligne que cette loi garantit l’accès à l’éducation, à la santé, à la terre et à l’état civil. Douze ans plus tard, un décret d’application relatif à la gouvernance des données culturelles vient compléter le dispositif ; il prévoit que toute plateforme d’IA exploitant des savoirs traditionnels doit recueillir le consentement préalable des communautés concernées et assurer un partage raisonnable des bénéfices. Ce dispositif, salué par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, inscrit le Congo dans une démarche de conformité anticipée aux principes de « free, prior and informed consent » que l’UNESCO appelle de ses vœux pour l’ère numérique.
Le Centre africain de recherche sur l’IA comme catalyseur
Inauguré à Kintele en 2023, le Centre africain de recherche sur l’intelligence artificielle (CARIA) se voit confier une mission de veille éthique sur les algorithmes employés dans les administrations et les entreprises du pays. Parmi les programmes phares figure la numérisation phonétique de la langue yaka, un projet conduit avec l’Université Marien Ngouabi et l’Institut français du numérique. Les corpus collectés alimentent des moteurs de reconnaissance vocale compatibles avec les services publics dématérialisés, réduisant ainsi la fracture linguistique qui limitait l’accès des communautés autochtones aux démarches administratives. Le directeur du CARIA, le professeur Théophile Makoundi, estime que « la préservation des savoirs ancestraux passe aujourd’hui par la maîtrise des chaînes de valeur de la donnée ».
Rayonnement multilatéral de la Déclaration de Brazzaville
Le premier Congrès mondial des peuples autochtones et des communautés locales des bassins forestiers, tenu en mai 2024 à Brazzaville, a réuni plus de cinq cents délégués issus des cinq continents. La Déclaration de Brazzaville qui en a émergé rappelle l’urgence d’un financement climatique articulé avec la protection des connaissances endogènes. Cette prise de position renforce la stature diplomatique du Congo dans les instances sur la biodiversité, au moment où les négociations post-Kunming se penchent sur la rémunération des services écosystémiques rendus par les forêts du bassin du Congo. En coulisses, les diplomates soulignent que la capacité de Brazzaville à faire converger agendas climatiques et droits autochtones invite à reconsidérer les partenariats de dette verte en faveur du pays.
Perspectives et responsabilités partagées
Loin de se satisfaire des avancées acquises, le gouvernement reconnaît des défis persistants : accès inégal aux services de base, stigmatisation sociale et attrition de langues minoritaires. Pour y répondre, la feuille de route 2025-2030 prévoit l’extension du réseau d’écoles bilingues, la formation de médiateurs culturels dans les tribunaux de district et l’introduction d’indicateurs autochtones dans les tableaux de bord de la stratégie nationale d’intelligence artificielle. « Notre ambition est de bâtir une société inclusive capable de transformer la technologie en un bien commun », affirme le ministre Bininga, qui appelle à la « mobilisation nationale et internationale » autour de ce cap. Au-delà du symbole onusien du 9 août, l’enjeu est de démontrer, sur le terrain, que la modernité numérique peut cohabiter avec la sagesse des forêts équatoriales.
