Le bassin du Congo à l’heure de la diplomatie environnementale
Troisième puits de carbone mondial, le massif forestier du Congo s’impose désormais comme un enjeu géopolitique majeur. Brazzaville, consciente de la valeur stratégique de ses trente-quatre millions d’hectares de forêts, multiplie les signaux de coopération avec l’Union européenne, premier importateur de bois tropicaux transformés. Dans un entretien récent, la ministre de l’Économie forestière, Rosalie Matondo, rappelait que « la souveraineté verte du Congo s’exprime par la preuve scientifique et la transparence des filières » (Ministère de l’Économie forestière, 2024).
Un Règlement européen, un test de crédibilité pour les exportateurs
Entré en vigueur fin 2023, le Règlement européen sur la déforestation entend interdire, sur le marché communautaire, toute matière première liée à la dégradation forestière après le 31 décembre 2020. Pour les opérateurs congolais, cet impératif de « zéro déforestation importée » représente moins une contrainte qu’une occasion d’améliorer leur compétitivité internationale. La présidence congolaise, par la voix du conseiller diplomatique en charge du climat, souligne que « l’alignement sur le RDUE est un accélérateur de modernisation industrielle » (Présidence de la République, 2024).
Ekwato, Supply Logica et Ecosource : la traçabilité en temps réel
Pour répondre à la demande de preuve, trois plateformes, Ekwato, Supply Logica et Ecosource, ont été développées par un consortium d’ingénieurs forestiers et de data scientists. Ekwato automatise la collecte des données de coupe, superpose les coordonnées GPS aux permis délivrés par l’administration et génère un dossier de diligence raisonnée exportable. Supply Logica mise sur une cartographie interactive qui permet à un acheteur européen de visualiser, en quelques secondes, l’itinéraire exact d’un grume entre Owando et Anvers. Ecosource combine, de son côté, imagerie satellite haute résolution et validation des grilles de légalité, repérant tout écart entre le plan d’aménagement et la topographie réelle.
PEFC, FSC et Preferred by Nature : convergence des standards
Soutenus par l’Association technique internationale des bois tropicaux et l’organisme français Le Commerce du Bois, les trois outils bénéficient de passerelles avec les grands schémas de certification. PEFC teste un standard international intégrant les exigences du RDUE, accompagné d’une mention spécifique sur les factures afin de simplifier le contrôle douanier. FSC, pour sa part, déploie une blockchain privée qui enregistre chaque étape logistique, verrouillant la falsification documentaire. Preferred by Nature, enfin, propose un cadre de durabilité aligné sur les indicateurs européens et forme les exploitants familiaux aux bonnes pratiques de déclaration.
Des ressources ouvertes pour les PME et la société civile
Conscients que la transition ne doit laisser personne de côté, les partenaires internationaux mettent également à disposition des outils gratuits. L’accès à la version professionnelle de Global Forest Watch pour les ONG congolaises permet, par exemple, de comparer en temps quasi réel les alertes de perte de couvert arboré avec les permis délivrés. La Commission européenne fournit par ailleurs Impact Toolbox, plate-forme d’analyse d’images Sentinel conçue pour détecter les microclairs en zone dense. Selon la Chambre forestière du Congo, ces ressources réduisent de près de 40 % les coûts de conformité pour les petites entreprises.
Aligner croissance et conservation : le pari de Brazzaville
L’État congolais, qui a déjà classé plus de 11 % de son territoire en aires protégées, perçoit dans la numérisation des chaînes d’approvisionnement une continuité logique de sa stratégie. Les autorités, souvent accusées par le passé de laxisme, voient aujourd’hui ces outils comme une occasion de réaffirmer leur leadership régional. « Nous ne pourrons attirer des financements climat que si nous démontrons une gouvernance forestière irréprochable », rappelle un diplomate congolais à Genève, évoquant les négociations pour un futur marché du carbone. En cultivant la complémentarité entre souveraineté nationale et normes internationales, Brazzaville vise un double dividende : sécuriser ses recettes d’exportation tout en confortant son statut de puissance verte.
Perspectives : vers un label « Made in Congo, Zéro Déforestation »
Avec l’appui technique des plateformes et des standards, un projet de label national est à l’étude, porté par l’Agence congolaise de normalisation. L’objectif : offrir au mobilier, aux panneaux et aux papiers issus des unités de transformation locales un passeport écologique reconnu à Bruxelles comme à Tokyo. Plusieurs diplomates européens saluent déjà cette dynamique, estimant qu’elle pourrait servir de modèle à l’ensemble de la CEEAC. Sous réserve d’un déploiement effectif, le Congo-Brazzaville pourrait ainsi achever de faire mentir le vieux tropisme qui opposait développement et conservation en Afrique centrale.