Au cœur des minéraux critiques
La flambée mondiale du cobalt, du lithium et des terres rares redéfinit les équilibres économiques. Au Congo-Brazzaville, ces minéraux représentent une occasion de consolider la diversification voulue par le Plan national de développement 2022-2026, pivot stratégique validé par le président Denis Sassou Nguesso.
Brazzaville affirme désormais qu’exporter du minerai brut appartient au passé. « Notre ambition est de transformer localement pour créer des emplois décents », rappelait en mars le ministre des Mines, Pierre Oba, devant les diplomates accrédités lors d’un forum organisé avec la Banque africaine de développement.
Brazzaville mise sur la valeur ajoutée locale
L’interdiction partielle d’exportation des concentrés de potasse, adoptée l’an dernier, signale cette inflexion. Les compagnies doivent prévoir des unités de finition dans la zone économique spéciale de Pointe-Noire, où des incitations fiscales ciblent la métallurgie et la chimie des batteries.
Premier résultat tangible, le groupe singapourien KorePotash a confirmé la construction d’une usine d’engrais qui valorisera la saumure résiduelle. Selon la présidence, plus de 600 emplois directs et un transfert d’ingénierie sud-africaine sont attendus dès 2025.
D’autres filières embryonnaires, telles que le tantale du Niari ou la bauxite du Kouilou, négocient des joint-ventures intégrant raffinage et recyclage. Le gouvernement insiste sur l’accès garanti à l’électricité hydraulique du barrage de Liouesso, facteur clé pour abaisser les coûts opérationnels.
Un cadre politique jugé stable par les investisseurs
Malgré la volatilité régionale, les agences Moody’s et S&P notent les avancées sur la soutenabilité macroéconomique. La récente loi portant Code minier, promulguée en décembre, clarifie la fiscalité progressive et pérennise l’obligation de contenus locaux à hauteur de 25 % pour les marchés publics.
Les majors anglo-saxonnes saluent une visibilité sur vingt-cinq ans de permis, mais la création d’un fonds souverain extractif rassure surtout les acteurs régionaux. « Il contribue à dépolitiser les recettes et à financer les infrastructures communes », analyse l’économiste camerounais Célestin Tawamba.
En retour, le gouvernement exige une meilleure traçabilité environnementale. Les sociétés possédant des titres doivent désormais publier un audit carbone annuel, aligné sur les standards de l’Initiative pour la transparence des industries extractives, dont Brazzaville a renouvelé l’adhésion en 2023.
Synergies régionales et partenariats stratégiques
L’interconnexion ferroviaire Congo-Cameroun, soutenue par la Commission économique pour l’Afrique, facilitera l’export vers le port de Kribi et réduira de 30 % les coûts logistiques. Elle ouvre aussi la voie à des complexes mixtes où seront partagés laboratoires, centres de tests et hubs de formation.
Dans la zone CEMAC, les ministres des Mines planchent sur un passeport minéral permettant de certifier l’origine et d’accélérer les inspections douanières. L’outil, inspiré du Kimberley Process, devrait éviter les ruptures d’approvisionnement observées durant la pandémie.
Sur le plan extra-continental, Pékin et Abu Dhabi proposent des accords de pré-financement contre livraisons futures. Brazzaville, prudent, conditionne ces lignes à un minimum de 40 % de contenu local et à la participation des PME nationales dans la sous-traitance.
Capital humain et transition énergétique
Sans compétences locales, la transformation resterait théorique. L’université Denis-Sassou-Nguesso d’Oyo a lancé un master en chimie des matériaux, organisé avec l’École des Mines de Paris. Quarante étudiants suivent déjà des travaux dirigés sur la purification du lithium et la synthèse d’électrolytes.
Parallèlement, le Programme des Nations unies pour le développement appuie un incubateur à Dolisie dédié aux start-up des technologies propres. Les premiers prototypes de batteries stationnaires basées sur la potasse locale pourraient équiper les villages pilotes du projet d’électrification hors réseau.
La stratégie inclut aussi la décarbonation des procédés. Le mix électrique national, déjà dominé à 70 % par l’hydraulique, accueillera bientôt un parc solaire de 120 MW à Ngo. Cette démarche anticipe les exigences ESG des marchés européens, qui taxeront le carbone importé dès 2026.
Regards de la communauté internationale
L’Union européenne observe « un exemple prometteur de relocalisation industrielle », selon la commissaire Kadri Simson. Washington, via l’US International Development Finance Corporation, envisage une garantie de 200 millions de dollars pour soutenir le secteur des semi-conducteurs utilisant les terres rares congolaises.
Les ONG environnementales restent vigilantes, rappelant les incidents passés sur la rivière Sangha. Le ministre de l’Environnement, Arlette Soudan-Nonault, promet des capteurs en temps réel et l’accès public aux données hydriques afin d’instaurer une confiance durable avec les communautés riveraines.
Perspectives à moyen terme
Si la cadence actuelle se maintient, 35 % de la production minière congolaise pourrait être transformée localement d’ici 2030, contre 4 % en 2022. Le pays poserait ainsi les bases d’une souveraineté économique rénovée, capable d’amortir les chocs des cycles mondiaux.
Avec cette trajectoire, Brazzaville se veut un laboratoire d’industrialisation responsable pour l’Afrique centrale. La combinaison d’une volonté politique affirmée, d’investissements orientés vers la chaîne de valeur et d’un cadre réglementaire lisible ouvre la voie à une nouvelle ère de prospérité partagée.
Les observateurs notent toutefois que le succès dépendra aussi de l’intégration des coopératives artisanales, qui emploient près de 12 000 creuseurs. Un programme pilote d’achat garanti, géré par la Banque postale du Congo, vise à formaliser cette production et à améliorer la traçabilité.