Une tournée parlementaire au cœur de l’économie portuaire
Sous le ciel chargé de brume salée de Pointe-Noire, poumon maritime de la République du Congo, une délégation de la commission Économie, finance et contrôle du budget de l’État s’est installée pour une session d’auditions peu commune. Conduits par le vice-président Thierry Hobié, les députés ont réuni, à huis clos, directeurs généraux des Impôts et des Douanes ainsi que dirigeants d’entreprises titulaires de conventions d’établissement. Sans éclats médiatiques, la démarche s’inscrivait dans la lignée des contrôles parlementaires voulus plus fréquents depuis l’adoption, en 2022, du Plan national de développement.
Au-delà de la symbolique, la présence conjointe des législateurs et des administrations fiscales a rappelé aux opérateurs privés que le suivi des engagements contractuels n’est plus une formalité. Selon plusieurs sources concordantes, plus d’une cinquantaine d’entités, essentiellement actives dans la logistique pétrolière, l’agro-industrie et le BTP, bénéficient aujourd’hui d’avantages douaniers ou fiscaux conditionnés à des objectifs d’investissement et d’emploi. La commission ambitionne d’établir, avant la session budgétaire d’octobre, un tableau précis du retour sur incitation, gage d’une gouvernance jugée stratégique par Brazzaville.
Les conventions d’établissement, instrument d’attractivité et de relance
Créées par la Charte des investissements révisée en 2003, les conventions d’établissement constituent une pièce maîtresse du dispositif d’attraction de capitaux étrangers dans un pays encore tributaire des hydrocarbures. Elles offrent, pour une durée négociée, des exonérations de droits d’importation sur les équipements, un taux réduit d’impôt sur les sociétés ou encore la simplification des procédures douanières. En contrepartie, chaque entreprise s’engage sur un volume minimal d’investissements, la formation de la main-d’œuvre locale et des objectifs de création d’emplois.
Dans un contexte où le FMI anticipe une croissance hors pétrole de 4 % en 2024, ces outils contractuels ont soutenu l’essor d’unités de transformation du bois, favorisé l’entrée d’industries agro-alimentaires et permis la modernisation d’infrastructures portuaires. Le ministère de l’Économie estime que les conventions en cours portent plus de 450 milliards de francs CFA d’investissements programmés. La session de Pointe-Noire visait précisément à vérifier que ces projections se traduisent, sur le terrain, en valeur ajoutée locale.
Incitations fiscales et obligations sociales : l’équilibre recherché
La délicate articulation entre soutien public et discipline privée se situe au cœur des échanges. « Les avantages ne sont pas un blanc-seing, ils sont adossés à des obligations précises », a rappelé Thierry Hobié à l’ouverture des travaux. Les techniciens des Impôts ont détaillé les déperditions de recettes potentielles, évaluées à 0,8 % du PIB, si les exonérations ne trouvent pas leur contrepartie en emplois et en transfert de compétences. D’où l’examen attentif des plans d’embauche, qui, malgré les prescriptions légales, ne sont pas toujours homologués par les services compétents.
Les dirigeants d’entreprises présents ont, pour leur part, souligné la nécessité d’une administration plus prévisible, évoquant les retards de remboursement de crédit TVA ou la lenteur d’obtention de certains agréments. Mais tous se sont déclarés favorables à un mécanisme de reporting semestriel, jugé plus compatible avec leurs propres obligations vis-à-vis des actionnaires. À travers ce dialogue, la commission tente de renforcer la confiance, pierre angulaire d’un environnement d’affaires compétitif et stable.
Emplois jeunes : horizon central de la stratégie nationale
La thématique de l’emploi des jeunes, proclamée priorité présidentielle lors de la déclaration de l’« année de la jeunesse », a servi de fil rouge aux travaux. Le chef de l’État s’est engagé à générer cent mille emplois d’ici 2026. Les conventions d’établissement sont perçues comme l’un des leviers capables d’atteindre cet objectif, à condition que les promesses de recrutement se concrétisent au-delà des phases de chantier pour s’inscrire dans la durée.
Selon les chiffres communiqués par l’Agence nationale pour l’emploi, 42 % des postes ouverts dans le cadre de ces contrats depuis 2019 ont concerné des moins de trente ans, mais la rotation reste élevée et les formations initiales parfois insuffisantes. La commission a proposé la signature d’avenants incluant des volets de formation duale, associant centres techniques et entreprises, de façon à ancrer les jeunes dans des filières pérennes telles que la maintenance industrielle ou la logistique portuaire.
Vers un nouveau pacte de confiance État-entreprises
En clôture, les députés ont esquissé des pistes d’amélioration : automatisation du suivi via une plateforme informatique partagée, publication annuelle d’un rapport d’impact, et, en dernière instance, suspension temporaire des avantages pour les sociétés accusant un retard avéré sur leurs obligations. « Nous privilégions l’accompagnement correctif à la sanction, car la finalité demeure la croissance inclusive », a insisté Thierry Hobié.
Cette approche graduée s’inscrit dans une vision plus large de modernisation de la gouvernance économique au Congo-Brazzaville. Entre exigences budgétaires, impératifs sociaux et attractivité du climat d’affaires, l’heure est à l’affinement d’un pacte de confiance apte à consolider la diversification de l’économie et à traduire, sur le marché de l’emploi, la promesse portée par les conventions d’établissement. Les conclusions attendues lors de la prochaine session parlementaire serviront de boussole pour ajuster, si nécessaire, le cadre réglementaire, sans jamais remettre en cause le cap fixé par les autorités pour une croissance robuste et partagée.