Ce qu’il faut retenir
Récompensée à la COP30, la jeune plateforme congolaise Jambo Radio prouve qu’une information climatique multilingue peut donner du pouvoir aux femmes rurales et contrer les infox. Son prix « Solutions genre et climat » valorise aussi un dispositif d’alertes météo par SMS conçu pour les communautés isolées.
Décernée par l’ONG féministe WECF parmi 1 900 candidatures internationales, la distinction offre 5 000 € à l’équipe fondatrice emmenée par l’activiste Joseph Tsongo. Au-delà du montant, elle place la République démocratique du Congo dans le radar des solutions locales alignées sur l’Agenda climatique mondial.
Rencontré dans les allées ombragées du parc des expositions de Belém, l’intéressé se dit « storyteller » et « organisateur communautaire ». Le journaliste citoyen, originaire de Goma, voit dans le trophée un levier supplémentaire pour « faire entendre la voix des villages oubliés des cartes ».
Un prix qui célèbre l’action climatique féministe
Créé il y a dix ans, le concours « Solutions genre et climat » valorise des initiatives où l’empowerment féminin se conjugue à la protection de la planète. Pour Valeria Pelaez, jurée WECF, le projet congolais « démontre qu’une technologie frugale peut transformer le quotidien des mères cultivatrices ».
Une radio née de l’urgence environnementale
Lancée en 2022 avec deux complices, Patricia Kasori et Béatrice Mbuyi, Jambo Radio mise sur le podcast pour vulgariser des sujets souvent cantonnés aux colloques. Les épisodes, enregistrés en swahili, lingala et français, expliquent le consentement libre et éclairé ou l’impact des projets pétroliers sur la pêche.
Le ton, résolument pédagogique, alterne témoignages de juristes, d’écologues et de défenseurs des droits humains. « Nous ne faisons pas un journal parlé, nous semons des graines de débat », sourit Tsongo, rappelant que les femmes rurales demeurent « les premières gestionnaires de la forêt et de l’eau ».
Des clubs d’auditeurs pour ancrer le débat local
Au-delà des ondes numériques, plus de 4 000 clubs d’auditeurs se réunissent chaque semaine dans le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, l’Ituri et la Tshopo. Sous un manguier ou dans une salle paroissiale, on écoute l’émission copiée sur carte mémoire avant d’entamer une discussion publique.
Ces forums improvisés permettent aux riverains d’exprimer en dialecte local leurs inquiétudes sur la pollution d’une rivière ou le retard des pluies. Pour l’animateur, « la radio devient un prétexte à l’organisation collective », une passerelle entre la science climatique et la recherche de solutions paysannes.
Le combat contre les fausses informations vertes
Dans la région, les contre-vérités prolifèrent : on affirme que tous les pays riches fonctionnent exclusivement au pétrole ou que la déforestation attire la pluie. Jambo mobilise économistes et écologues pour déconstruire ces mythes et démontrer qu’une économie verte peut créer des emplois durables.
Une victoire symbolique est survenue lorsque Kinshasa a suspendu, fin 2024, un projet pétrolier contesté dans le parc des Virunga. « Nos podcasts ont nourri la mobilisation », assure Tsongo, sans revendiquer un succès exclusif mais en soulignant la puissance d’une information accessible.
Le Jambo Lab, l’innovation par SMS
Pour toucher les zones sans couverture Internet, le Jambo Lab s’appuie sur un algorithme maison couplé aux données météorologiques régionales. Les utilisateurs reçoivent, par SMS, une alerte orage ou un rappel de semis, dans un langage simplifié adapté aux radios communautaires.
L’idée est d’éviter que les paysannes ne soient surprises par une crue ou un épisode de vents violents. « En recevant le message, elles peuvent sauver les récoltes et, parfois, leurs vies », explique Patricia Kasori, jointe par téléphone depuis Kisangani où elle coordonne les tests.
Quels scénarios pour l’avenir de Jambo Radio ?
Le parcours de Tsongo rappelle toutefois les risques. Menacé après des enquêtes sur la contrebande minière, il a quitté Goma au printemps 2025. Son ordinateur et son passeport ont disparu lors d’une fouille nocturne, signe d’un climat d’intimidation que connaissent nombre d’acteurs civiques.
Faute de connexion stable, le dernier podcast remonte à six mois. L’équipe espère relancer la production grâce au prix et à de futurs partenariats avec des radios rurales congolaises ou brésiliennes. Objectif : doubler l’audience d’ici fin 2026 et former vingt animatrices supplémentaires.
Et après ? Défis et opportunités pour une transition juste
L’Agence internationale de l’énergie anticipe une hausse de 20 % de la demande mondiale en minerais critiques d’ici 2040, un chiffre qui inquiète les défenseurs des Virunga. Le défi sera de concilier croissance et préservation, tout en garantissant aux femmes un siège à la table des décisions.
Pour y parvenir, Jambo Radio envisage de créer un « point juridique » régulier avec des avocats, et un « point éco » pour suivre l’usage des fonds climats. « Informer ne suffit pas, il faut documenter les engagements », glisse Tsongo, déterminé malgré l’exil.
À Belém, il repart le trophée sous le bras, convaincu que la reconnaissance internationale peut amplifier une démarche locale. « Si nous protégeons nos forêts, c’est toute la planète qui respire », résume-t-il, avant de reprendre son téléphone pour publier un dernier tweet d’espoir.
Prochaine étape : enregistrer une série bilingue RDC-Brésil sur la gouvernance des mangroves amazoniennes et congolaises, afin de montrer que les Suds partagent des solutions convergentes malgré des contextes politiques, économiques et culturels distincts.
