Ce qu’il faut retenir
En moins d’une semaine, la présidentielle bissau-guinéenne a basculé d’un scrutin serré à une transition militaire, puis à l’asile offert par le Nigeria à Fernando Dias da Costa, challenger d’Umaro Sissoco Embaló.
La CEDEAO réclame la publication des résultats, tandis que la junte a installé le général Horta N’Tam pour un an de transition politique.
Bouclier diplomatique nigérian pour Dias
Protégé depuis le soir du putsch au sein de l’ambassade du Nigeria à Bissau, Dias, 47 ans, fait désormais l’objet d’un accord formel signé par le chef de la diplomatie nigériane, Yusuf Tuggar, et validé par le président Bola Tinubu.
Le ministre parle d’une décision « illustrant notre engagement à défendre les aspirations démocratiques du peuple bissau-guinéen », phrase transmise à Alieu Omar Touray, président de la Commission de la CEDEAO.
Une junte sous pression régionale
Depuis le 26 novembre, les militaires contrôlent palais présidentiel, radio nationale et axes stratégiques, tout en interdisant rassemblements et déclarations contestant leur autorité — une mesure qualifiée de temporaire par leur porte-parole.
Arrivée dimanche, la délégation ouest-africaine emmenée par le chef de la diplomatie sierra-léonaise, Musa Timothy Kabba, affirme que les discussions ont été « productives », même si aucun calendrier clair n’a filtré pour rétablir l’ordre constitutionnel.
La CEDEAO maintient la suspension de la Guinée-Bissau de tous ses organes décisionnels et menace de sanctions ciblées si la publication des résultats n’intervient pas rapidement.
Contexte : une démocratie souvent secouée
Neuf coups d’État ou tentatives en cinquante ans ont façonné un système où l’armée reste un arbitre redouté, dans un pays servant aussi de relais aux trafics de cocaïne venus d’Amérique latine vers l’Europe.
L’ex-parti de libération PAIGC, longtemps dominant, n’a pas pu présenter de candidat en novembre, en raison d’un litige interne, laissant Dias, du Parti pour le renouveau social, incarner l’alternative à Embaló.
Les deux finalistes se déclaraient victorieux dès la fermeture des urnes, un climat d’incertitude alimenté par l’absence de résultats officiels et par les rumeurs de fraudes.
Scénarios : sortie de crise en débat
La première option, privilégiée par Abuja et Accra, consiste à obtenir de la junte un retour éclair au processus électoral, quitte à recompter les bulletins sous supervision internationale afin de légitimer le futur président.
Un deuxième scénario évoqué par certains diplomates miserait sur un gouvernement d’union nationale dirigé par un civil, avec un mandat limité pour réviser la Constitution et organiser un référendum.
Enfin, la junte semble tester l’idée d’une transition d’un an, sous l’autorité du général N’Tam, afin de « stabiliser » le pays avant tout scrutin, malgré la réticence de la CEDEAO à entériner un tel délai.
Le point juridique/éco
La suspension du processus électoral viole la Constitution bissau-guinéenne, notamment son article 71, qui confie l’organisation des élections à la commission nationale indépendante, rappellent des juristes de l’Université Amílcar Cabral.
Sur le plan financier, le blocage risque de retarder le décaissement de 30 millions de dollars promis par la Banque mondiale pour des réformes portuaires, un dossier clé pour un pays dont 20 % du PIB dépend du commerce maritime.
L’incertitude politique pèse déjà sur la campagne de cajou, première exportation locale, alors que les intermédiaires indiens et vietnamiens demandent des ristournes pour compenser la hausse du risque pays.
Et après ? Les options de la CEDEAO
Si aucune avancée n’est enregistrée, le sommet extraordinaire prévu à Abuja pourrait activer le Protocole de 2001 sur la démocratie, permettant des sanctions, voire l’envoi d’un contingent militaire renforcé, comme ce fut le cas en Gambie en 2017.
Abuja mise toutefois sur une pression graduée, combinée à des garanties sécuritaires pour la junte, afin d’éviter un nouveau front dans une région déjà confrontée aux crises malienne, burkinabè et nigérienne.
Dans les coulisses, plusieurs chancelleries estiment qu’un exil provisoire d’Embaló, passé par Dakar avant une étape discrète à Brazzaville, pourrait fluidifier la négociation en éloignant les rivalités personnelles.
Fernando Dias, lui, assure qu’il restera à Bissau « le temps nécessaire » et qu’il n’entend pas mener une opposition en exil, une déclaration qui rassure partiellement ses soutiens au sein de la société civile.
Pour l’heure, les habitants de la capitale vivent au rythme des patrouilles, mais les marchés rouvrent progressivement, signe que la population espère une issue rapide pour éviter l’asphyxie économique.
Les analystes de l’Institute for Security Studies rappellent que chaque jour de blocage renforce les réseaux criminels capables de financer des factions armées, un risque régional que les voisins ne veulent plus ignorer.
La balle est donc dans le camp de la junte, appelée à prouver qu’elle n’a pas orchestré un « coup d’État simulé » mais qu’elle est prête à ramener la Guinée-Bissau sur la voie d’élections crédibles.
De son côté, l’Union africaine a dépêché un groupe de sages mené par l’Angolais Baltasar dos Santos, chargé de proposer une feuille de route conciliant sécurité et réformes électorales.
Un rapport intermédiaire est attendu d’ici quinze jours pour synchroniser l’action des partenaires.
