Des indicateurs en progrès malgré les vents contraires
Selon l’Institut national de la statistique, le produit intérieur brut réel du Cameroun a progressé de 1,6 % entre octobre et décembre 2024, portant la croissance annuelle à 3,5 %. Ce redressement intervient après un premier semestre grevé par l’inflation importée et par les répercussions des turbulences sécuritaires aux frontières septentrionales. Pour le directeur général de l’INS, Joseph Tedou, « la vigueur du quatrième trimestre prouve la capacité d’absorption de l’économie camerounaise face aux chocs exogènes ».
En termes nominaux, la richesse créée dépasse désormais les 27 000 milliards de francs CFA, un seuil psychologique qui conforte la position du pays comme seconde économie d’Afrique centrale derrière le Congo-Brazzaville. Si la comparaison est flatteuse, elle souligne surtout l’interdépendance sous-régionale, les deux capitales économiques partageant les mêmes corridors logistiques et marchés énergétiques.
Agriculture, services et chantiers publics : le triptyque de la reprise
Le segment primaire a fourni la moitié de l’élan trimestriel, porté par une campagne cacaoyère particulièrement généreuse et par la résilience du café robuste dans l’Ouest. La mécanisation partielle et la multiplication des petites unités de transformation ont, selon le ministère de l’Agriculture, ajouté 0,6 point à la croissance globale.
Côté tertiaire, les télécommunications poursuivent leur envolée, les transactions digitales ayant bondi de 28 % sur douze mois. Le secteur bancaire, dopé par les transferts de la diaspora, a consolidé sa rentabilité, épaulant la capacité de crédit des PME locales. Les travaux d’infrastructures – nouveau tronçon de l’autoroute Yaoundé-Douala, réhabilitation partielle du port de Kribi – complètent le tableau avec un effet d’entraînement sur le BTP et la distribution de matériaux.
La manne publique n’est pas étrangère à cette embellie. Dans la loi de finances rectificative adoptée en septembre, 420 milliards CFA supplémentaires ont été injectés dans le Plan de développement des infrastructures. « Nous assistons à un cycle de dépenses contracycliques assumées », explique un économiste de la Banque des États de l’Afrique centrale, avant de souligner le rôle stabilisateur de ces investissements sur l’emploi urbain.
Les défis persistants de la soutenabilité budgétaire
Si les voyants de la croissance s’illuminent, le cadrage budgétaire demeure serré. La dette publique, évaluée à 45 % du PIB, reste en deçà du seuil communautaire de 70 %, mais sa dynamique ascendante interpelle. Le service de la dette extérieure absorbe désormais près de 18 % des recettes, une proportion jugée « gérable mais vigilante » par le Fonds monétaire international.
L’inflation, stabilisée à 4,7 % en glissement annuel, témoigne d’une modération bienvenue après les pics de 2023. Cependant, la dépendance aux importations de produits pétroliers raffinés expose le pays à la volatilité des cours mondiaux. À Douala, les associations de consommateurs rappellent que le panier alimentaire moyen a augmenté de 12 % depuis janvier, amenuisant l’effet ressenti de la croissance sur les ménages.
Sur le front monétaire, la BEAC a maintenu son taux directeur à 5 %, privilégiant la stabilité plutôt qu’un soutien supplémentaire à la liquidité. Les autorités camoufletent ainsi les risques inflationnistes, tout en préservant une marge d’action si les perspectives internationales se dégradaient.
Perspectives régionales et implications diplomatiques
L’élan camerounais résonne au-delà de ses frontières. Dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, ce résultat conforte la projection d’un retour au niveau pré-pandémique de croissance dès 2025. Libreville et Brazzaville scrutent avec intérêt cette trajectoire qui augure d’une reprise des échanges intracommunautaires, en particulier pour les flux de produits agro-industriels.
Sur le plan diplomatique, Yaoundé capitalise sur sa performance pour plaider, auprès de ses partenaires, un accès élargi à la facilité pour la résilience alimentaire de la Banque mondiale. Le chef de la mission de l’Union européenne a salué « un signal positif envoyé aux investisseurs », tout en insistant sur l’importance d’un climat d’affaires prévisible pour convertir l’élan statistique en investissements pérennes.
À l’horizon 2025-2026, le gouvernement table sur un taux de croissance moyen de 4,5 %. La réalisation de cette ambition dépendra de la poursuite des réformes fiscales, de la finalisation du plan de transition énergétique – qui prévoit l’augmentation de la part du gaz dans le mix – et de la maîtrise de la dépense courante. Faute de quoi le double dividende croissance-stabilité pourrait se muer en simple respiration conjoncturelle.
Un rebond prudent qui appelle à la constance
Le sursaut de 1,6 % du PIB au quatrième trimestre confirme la vitalité potentielle de l’économie camerounaise, mais il ne saurait dissimuler les fragilités qui persistent. Entre diversification encore inachevée et impératifs de soutenabilité, la marge de manœuvre reste étroite.
Néanmoins, la trajectoire actuelle éclaire une voie faite d’investissements ciblés, de renforcement de la gouvernance et d’ancrage sous-régional accru. Dans un environnement géopolitique où la stabilité économique devient argument diplomatique, le Cameroun dispose désormais d’un atout mesurable – à condition de transformer l’essai par des réformes structurelles constantes.