Un nouveau front géoéconomique en Afrique australe
La frénésie mondiale pour les minerais stratégiques place l’Afrique au centre d’une recomposition géoéconomique dont le cuivre et le cobalt constituent les pivots. À mesure que la transition énergétique accroît la demande pour ces métaux rares, la rivalité sino-indienne s’exporte bien au-delà du détroit de Malacca. Il ne s’agit plus seulement d’une quête d’influence politique, mais d’une compétition pour sécuriser des chaînes de valeur industrielles vitales à la décarbonation. À Lusaka, Kinshasa ou Brazzaville, la diplomatie dite « des filons » redéfinit le dialogue entre puissances établies, émergentes et capitales africaines en quête de diversification de partenaires.
Zambie, laboratoire d’une diplomatie minérale indienne
Dépêcher une mission de géologues sur 9 000 km² zambiens constitue la première pièce visible d’une stratégie mûrie à New Delhi depuis la fermeture en 2018 de la fonderie Sterlite, qui a laissé l’économie indienne largement tributaire des importations de cuivre. La Zambie, traditionnellement orientée vers les investisseurs chinois, a vu son nouveau gouvernement nourrir l’ambition de rééquilibrer ses partenariats. L’offre indienne combine assistance technique, formation locale et engagement à rapatrier une partie des analyses en laboratoires indiens, gage de sérieux scientifique tout autant qu’occasion d’ancrer la coopération académique. Les observateurs notent que, si Pékin a déjà mis la main sur des gisements majeurs de la Copperbelt, Lusaka pourrait trouver un atout de négociation dans la présence indienne pour diversifier son carnet d’alliés sans rompre avec la Chine.
Dans l’ombre de Pékin, New Delhi affine ses outils financiers
Le Secrétariat aux affaires économiques, pivot de l’aide publique au développement indienne, travaille de concert avec l’EXIM Bank afin d’adosser ses propositions minières à des lignes de crédit concessionnelles. L’instrument diffère du modèle d’infrastructures contre ressources popularisé par la Chine : l’Inde privilégie le co-contrôle avec les compagnies publiques locales et la participation future du secteur privé. Selon un haut fonctionnaire indien, cette approche « réduit les risques politiques tout en offrant aux pays hôtes une montée en gamme de leur savoir-faire ». Les investisseurs chinois, déjà installés, observent toutefois que la maîtrise logistique – ports, chemins de fer, corridors industriels – reste en grande partie aux mains des groupes de Pékin, ce qui limite la marge de manœuvre indienne.
Cobalt congolais : la négociation, terrain d’apprentissage mutuel
Dès juin dernier, la participation d’une délégation indienne de haut rang au forum minier de Lubumbashi a confirmé l’intérêt pour les gisements de la République démocratique du Congo. Au Katanga, l’Inde explore la possibilité d’un accord-cadre garantissant un accès régulier au cobalt, métal clé des batteries NMC. Kinshasa, engagé dans une réforme de ses contrats historiques, attend de New Delhi une offre intégrant la transformation locale du minerai. « Nous voulons quitter le stade de pourvoyeurs de matières brutes », souligne un conseiller du ministère congolais des Mines. Cette exigence rejoint l’agenda indien de relocaliser certaines étapes intermédiaires du raffinage pour sécuriser la traçabilité et répondre aux standards ESG des marchés occidentaux.
Effet cascade sur la chaîne mondiale des batteries
Les importations indiennes de cuivre ont progressé de 4 % sur l’exercice 2024-2025, atteignant 1,2 million de tonnes, tandis que celles de cobalt et d’oxyde de cobalt bondissaient de 20 %. Cette dynamique reflète la cadence des plans de production dans les gigafactories de véhicules électriques que Tata Power ou Ola Electric inaugurent sur le sous-continent. À court terme, l’achat en mine africain est moins coûteux que le recyclage encore balbutiant. À moyen terme, toute tension sur l’offre pourrait rejaillir sur les prix des accumulateurs, pesant sur l’ambition indienne d’abaisser le coût du kilowatt-heure en deçà de 70 dollars. Les analystes de Wood Mackenzie estiment qu’une contractualisation rapide avec la Zambie couvrirait 15 % des besoins indiens en cuivre raffiné à l’horizon 2030.
Capitals africaines, arènes d’une compétition à somme non nulle
Les gouvernements africains voient dans l’entrée en lice de New Delhi une opportunité pour renégocier des conditions d’extraction plus favorables. Lusaka réclame la construction d’un institut régional de métallurgie, tandis que la RDC priorise l’extension des capacités hydroélectriques dans la vallée du Lualaba pour alimenter ses futures raffineries. La République du Congo, pour sa part, anticipe la montée en flèche du manganèse et consolide ses échanges avec l’Inde sans remettre en cause le dialogue stratégique de longue date qu’elle entretient avec la Chine et d’autres partenaires. La diplomatie de la concurrence est ainsi convertie en diplomatie du choix, où chaque capitale entend maximiser ses retombées locales. « Nous évoluons vers un marché d’acheteurs souverains », observe un diplomate ouest-africain.
Perspectives et marges de manœuvre diplomatique
À horizon décennal, la capacité de l’Inde à transformer ses récents blocs d’exploration en concessions productives dépendra de plusieurs variables : stabilité réglementaire, transparence des procédures et montée en gamme des infrastructures. Pékin, fort de deux décennies d’avance, offre encore des délais de réalisation rekord et des montages financiers intégrés. Pourtant, la crédibilité démocratique indienne et son alignement avec les standards de gouvernance de l’OCDE attirent l’attention de bailleurs multilatéraux désireux d’accompagner des projets « bas carbone ». Pour les chancelleries africaines, l’enjeu n’est donc pas de choisir un camp mais d’ériger un cadre où la rivalité sino-indienne stimule une compétition positive au service du développement et de la souveraineté minérale du continent.