Enjeux nationaux de la décentralisation
Un quart de siècle après l’ancrage constitutionnel du principe de libre administration, la décentralisation congolaise franchit une nouvelle étape. Sous l’égide du ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation, un atelier de haut niveau s’est tenu le 26 juin 2025 à l’Hôtel Grand Lancaster de Brazzaville, réunissant préfets, ordonnateurs locaux et experts internationaux. Objectif affiché : consolider la mobilisation des ressources domestiques pour permettre aux collectivités de traduire dans les faits la promesse d’un service public de proximité.
En ouvrant les travaux, Séraphin Ondélé, directeur de cabinet du ministre, a souligné « la nécessité de doter les territoires d’un matelas financier à la hauteur de leurs ambitions », rappelant que « l’État reste garant de l’unité budgétaire, mais ne saurait à lui seul répondre à l’urgence sociale ». Un propos qui résonne avec les conclusions de l’étude conduite en 2022 par la Banque mondiale sur les progrès de la décentralisation (Banque mondiale, 2022).
L’héritage juridique et les balises régionales
Le cadre normatif congolais s’inspire des directives communautaires de la CEMAC, lesquelles imposent une discipline budgétaire comparable à celle des pays de la zone euro. Les collectivités doivent adopter un compte unique du Trésor, publier leurs états financiers et respecter les principes de sincérité et d’annualité. Sur le papier, ces prescriptions apaisent la perception du risque souverain et sécurisent les investisseurs institutionnels.
Dans la pratique, la fragmentation des textes d’application et la volatilité des prix du baril créent des à-coups dans la trésorerie locale. D’où la priorité donnée, pendant l’atelier, à la stabilisation des transferts étatiques. « Protéger nos communes des cycles pétroliers n’est pas seulement une précaution budgétaire, c’est un impératif de cohésion sociale », a insisté un cadre de la Direction générale du Budget.
Transparence budgétaire et stabilité macroéconomique
Les discussions ont mis en exergue trois leviers complémentaires. Primo, la transparence dans la programmation des dotations, afin que les élus puissent planifier l’investissement public sans recourir aux avances de trésorerie coûteuses. Secundo, la prévisibilité des flux financiers entre État et collectivités, avec l’idée d’un fonds de stabilisation alimenté hors budget pétrolier. Tertio, l’instauration d’une plateforme numérique unique pour tracer les recettes locales, qu’il s’agisse de la surtaxe sur la TVA ou des centimes additionnels aux impôts nationaux.
Pour la représentante résidente adjointe du PNUD, « cette infrastructure numérique est l’épine dorsale d’une gouvernance moderne : elle limite les pertes fiscales et rapproche l’administration du contribuable ». L’Union européenne, via son programme Villes résilientes, a déjà fléché une assistance technique sur cet axe.
Brazzaville et Pointe-Noire, laboratoires fiscaux
Le choix de concentrer les premières réformes sur les deux métropoles n’a rien d’anodin. À elles seules, Brazzaville et Pointe-Noire concentrent plus de 55 % du PIB non pétrolier, d’après les estimations de la direction des Statistiques. Une étude additionnelle commandée en 2023 a disséqué leurs régies municipales pour identifier les poches d’efficacité. Résultat : la valeur foncière non bâtie et la fiscalité indirecte liée aux activités portuaires offrent un gisement de recettes encore sous-exploité.
En parallèle, les édiles locaux réclament une clarification des compétences. « Sans cartographie précise des responsabilités, la redevabilité reste un concept théorique », argue le maire adjoint de Pointe-Noire, pointant les chevauchements entre police municipale et forces de sécurité nationale.
Partenariats internationaux et transferts de savoir-faire
La Banque mondiale, forte de ses diagnostics, propose une feuille de route en plusieurs paliers : renforcement des capacités humaines via un programme de formations certifiantes, accompagnement à la mise en place des systèmes d’information financière et appui à l’élaboration de cadres moyens-terme pour les budgets locaux. Ce soutien technique, évalué à douze millions de dollars sur trois ans, s’inscrit dans la stratégie nationale de diversification de l’économie, saluée par plusieurs partenaires du G20 Compact with Africa.
À moyen terme, l’institution de Bretton Woods envisage des prêts concessionnels adossés à des indicateurs de performance, un mécanisme déjà testé avec succès au Rwanda. L’idée séduit les autorités congolaises, qui y voient un moyen d’arrimer la discipline de gestion aux meilleures pratiques internationales, tout en conservant la pleine souveraineté dans l’allocation des fonds.
Perspectives opérationnelles
Les participants ont convenu de se retrouver avant la fin de l’année pour valider un plan d’action. Parmi les points saillants : la création de cellules d’ingénierie fiscale dans les préfectures, l’adoption d’un calendrier pluriannuel de transferts et l’expérimentation d’obligations municipales vertes pour financer les infrastructures climato-résilientes. Le ministère ambitionne de lancer deux projets pilotes dès 2026, assortis d’un audit citoyen annuel.
En filigrane, l’enjeu est de consolider la confiance. Confiance entre l’État et les collectivités, entre les élus et les citoyens, enfin entre le Congo-Brazzaville et ses partenaires financiers. En érigeant la mobilisation des ressources locales en pilier stratégique, le gouvernement entend démontrer que la décentralisation n’est pas une simple réforme institutionnelle, mais un vecteur de souveraineté économique et de stabilité sociale.