Une Communauté en proie aux secousses institutionnelles
La Communauté d’Afrique de l’Est, désormais forte de huit membres, a longtemps aimé se présenter comme un laboratoire d’intégration politique sur le continent. Pourtant, le constat établi par plusieurs observateurs internationaux, dont l’agence américaine Bloomberg, souligne une érosion rapide des gages de pluralisme. Sur la même toile de fond, conflits armés, tensions électorales et révisions constitutionnelles successives convergent pour fragiliser les contre-pouvoirs. Dans ce contexte, la République démocratique du Congo, plus vaste marché de l’organisation, poursuit son effort d’intégration tout en affrontant une instabilité sécuritaire persistante à l’Est, tandis que le Soudan du Sud reste enlisé dans la mise en œuvre de son accord de paix.
Entre contestation citoyenne et réponses sécuritaires
Le Kenya, souvent cité comme vitrine juridique de l’espace anglophone, illustre l’ambivalence du moment. L’émoi provoqué par la mort en détention du blogueur Albert Ojwang, critique vis-à-vis d’un cadre supérieur de la police, a rappelé que la vitalité institutionnelle demeure fragile. Les conclusions d’un panel indépendant de médecins, pointant de sévères traumatismes à la tête et au cou, ont ravivé la question de la responsabilité des forces de l’ordre. Nairobi a annoncé l’ouverture d’une enquête, tandis que des manifestations éclataient dans plusieurs centres urbains, révélant une jeunesse désormais plus connectée et déterminée à documenter chaque dérapage.
La répression transfrontalière, nouvelle variable de la dissidence
En Ouganda, les opposants de longue date évoquent une « normalisation de la peur ». Les arrestations d’activistes hors du territoire illustrent l’extension de l’arsenal de contrôle. Ainsi, la juriste ougandaise Agather Atuhaire et le photojournaliste kényan Boniface Mwangi ont relaté avoir été interpellés en Tanzanie, interrogés de manière musclée puis expulsés vers leurs pays respectifs. Les autorités tanzaniennes, invoquant des irrégularités migratoires, contestent toute brutalité. L’incident met néanmoins en évidence la coopération policière renforcée, parfois au détriment des garanties procédurales régionales.
Facteurs structurels et tentations centralisatrices
Plusieurs variables nourrissent cette crispation. Sur le plan sécuritaire, l’intensification des menaces transfrontalières, qu’il s’agisse de groupes armés non étatiques ou de trafics illicites, pousse les exécutifs à resserrer le monopole de la violence légitime. Sur le plan économique, la hausse du coût de la vie, amplifiée par les chocs exogènes successifs – pandémie, perturbations logistiques, guerre en Ukraine – érode le pouvoir d’achat et alimente la défiance à l’égard des gouvernements. Enfin, le déplacement stratégique des alliances internationales, notamment l’irruption de nouveaux partenariats financiers extrarégionaux, modifie les calculs d’opportunité des dirigeants, qui équilibrent désormais exigences de stabilité et attentes de leurs bailleurs.
La posture conciliatrice de Brazzaville dans un voisinage sous tension
Si le Congo-Brazzaville n’appartient pas à la Communauté d’Afrique de l’Est, sa diplomatie se trouve néanmoins concernée par la porosité géopolitique de la région. Fort d’une stabilité institutionnelle éprouvée, Brazzaville joue un rôle d’entremise discrète, en particulier dans les formats de médiation portés par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale et l’Union africaine. Le président Denis Sassou Nguesso a d’ailleurs réitéré, lors du dernier sommet de Luanda, son soutien au dialogue inter-soudanais et à la pluralité d’initiatives régionales visant à empêcher la contagion des conflits. Cette disponibilité à la médiation, saluée par plusieurs chancelleries européennes, illustre la conviction de Brazzaville qu’une architecture de sécurité collective efficiente passe par la coordination des blocs sous-régionaux.
Partenaires internationaux : entre coopération et devoir de cohérence
Les bailleurs occidentaux et asiatiques, confrontés à l’impératif de résultats tangibles pour leurs opinions publiques, naviguent difficilement entre promotion de la gouvernance démocratique et impératif de stabilité. L’accompagnement budgétaire ciblé, de même que les programmes de formation des forces de sécurité, sont régulièrement assortis de clauses relatives aux droits de l’homme. Mais la pratique démontre que ces outils restent tributaires de négociations bilatérales. Les chancelleries, tout en saluant certaines avancées – comme la récente décision kenyane d’augmenter l’allocation judiciaire au parquet indépendant –, peinent à instaurer un dialogue contraignant qui serait accepté par tous les chefs d’État de la région.
Perspectives régionales et pistes de désescalade
La résilience institutionnelle de l’Afrique de l’Est dépendra, à court terme, de la capacité des gouvernements à offrir des cadres participatifs crédibles sans sacrifier l’impératif de sécurité. Les experts interrogés, tels que le politologue ougandais Frederick Golooba-Mutebi, estiment qu’« il n’existe pas de trajectoire linéaire vers la démocratie ; le défi est de maintenir ouverts les canaux de contestation pacifique ». Sur le plan géo-économique, l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale pourrait jouer un rôle tampon en créant des interdépendances commerciales plus fortes. En parallèle, l’articulation entre les initiatives de médiation – auxquelles le Congo-Brazzaville contribue régulièrement – et les mécanismes d’alerte précoce de l’Union africaine demeure une priorité pour contenir les flambées de violence et réhabiliter la confiance citoyenne.