Un hommage d’État à forte charge symbolique
Brazzaville s’est figée, le 25 juin, sous l’effet conjugué de la chaleur tropicale et d’une émotion nationale rarement observée depuis les grandes commémorations post-indépendance. La dépouille de Martin Mbéri, disparu le 5 juin à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, a quitté le Palais des congrès à l’issue d’une cérémonie d’hommage présidée par le chef de l’État Denis Sassou Nguesso. Le tapis rouge déroulé sur l’esplanade, les honneurs militaires et la présence des corps constitués ont fait de ces funérailles un moment codifié où chaque geste – du salut protocolaire au dépôt de la gerbe – visait à souligner l’envergure d’un homme dont la carrière épouse six décennies de vie politique congolaise.
Le livre de condoléances, ouvert dès l’annonce du décès au Centre hospitalier universitaire de Brazzaville, porte la signature manuscrite du président de la République : « Martin Mbéri, un frère, un ami fidèle pendant soixante-cinq ans ». Cette déclaration publique d’affection, inhabituelle dans un registre officiel, rappelle que la diplomatie interne se nourrit d’affects privés. Elle éclaire également l’exceptionnelle visibilité donnée à la cérémonie, retransmise en direct par Télé Congo et largement commentée par la presse régionale (Les Dépêches de Brazzaville, 7 juin 2025).
Le choix du Mausolée Marien Ngouabi comme message politique
L’inhumation au Mausolée Marien Ngouabi n’est ni un geste anodin ni un simple renvoi à l’amitié entre deux compagnons de route. Ce site, situé au cœur administratif de la capitale, est consacré aux pères fondateurs et aux martyrs de la République. Y reposer, même à titre provisoire d’après l’accord conclu avec la famille et les sages de la Bouenza, équivaut pour Martin Mbéri à une élévation dans le panthéon mémoriel national.
À travers cette décision, l’exécutif congolais adresse un message de continuité institutionnelle. En plaçant côte à côte la figure de Marien Ngouabi, icône de la Révolution de 1968, et celle de Mbéri, artisan du dialogue post-conflit de 1999, le pouvoir souligne la cohérence d’un récit historique fondé sur la stabilité et l’unité. Pour les chancelleries présentes – l’Union africaine, la CEEAC et plusieurs ambassades occidentales – cette scénographie confirme la volonté de Brazzaville de fédérer les symboles autour de la réconciliation et du développement.
Parcours d’un homme d’équilibre entre deux horizons politiques
Né en 1940 dans le district de Mouyondzi, Martin Mbéri s’impose très tôt comme un médiateur instinctif. Co-fondateur du Parti congolais du travail en 1969, il traverse les alternances politiques sans rompre les fils du dialogue. Après le retour de Denis Sassou Nguesso aux affaires en 1997, il accepte le portefeuille de la Construction tout en restant membre de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS). Cette apparente ambivalence a longtemps déconcerté les observateurs, jusqu’à ce que l’ancien ministre de la Défense, Charles Zacharie Bowao, rappelle, dans son oraison, que « l’amitié scellée dès 1960 entre les deux hommes primait sur toute ligne de fracture partisane ».
En 2013, sa nomination à la tête du Conseil consultatif du dialogue (CCD) cristallise sa vocation : jeter des ponts entre acteurs politiques, société civile et partenaires internationaux. Les « concertations nationales » pilotées par le ministère de l’Intérieur ont toutefois laissé le CCD en retrait. Mbéri, lucide, n’en concluait pas à l’échec ; il y voyait la preuve qu’un dialogue authentique exige, selon ses mots, « patience et humilité ». Ce positionnement mesuré lui a valu un respect transversal, qu’illustraient encore les témoignages venus, le jour des funérailles, de formations politiques parfois critiques à l’égard du pouvoir.
Les implications diplomatiques d’un geste mémoriel
Le protocole funéraire congolais possède une dimension internationale ancienne, héritée des usages francophones. En conviant high-level envoys du Rwanda, du Cameroun et de la France, Brazzaville a pris soin de transformer la cérémonie en forum discret de discussions bilatérales. Un diplomate européen confiait en marge de l’office religieux du Temple du Centenaire que « les obsèques servent souvent de coulisses à la prévention de crises futures ».
Sur le plan intérieur, l’événement nourrit la légitimité du chef de l’État en tant que garant de la mémoire et de la cohésion. L’adhésion populaire observée sur l’avenue de la Paix, où la foule scandait « Unité ! », traduit une convergence entre la symbolique nationale et le vécu citoyen. Dans un contexte régional encore marqué par des instabilités, la capacité de Brazzaville à orchestrer un tel rite apaisé renforce son capital de médiateur, rôle déjà reconnu dans les dossiers centrafricain et sahélien.
Perspectives sur le dialogue national inachevé
L’héritage laissé par Martin Mbéri s’exprime d’abord dans une méthode : privilégier la palabre inclusive et la mémoire partagée. Plusieurs acteurs institutionnels envisagent déjà de rebaptiser le futur siège du CCD à Brazzaville « Centre Mbéri pour la concertation et la paix ». Un tel geste, s’il se confirme, pourrait réactiver le projet de dialogue permanent qui lui tenait à cœur.
À plus long terme, l’inhumation définitive dans son village natal, une fois les infrastructures funéraires achevées, offrira l’occasion d’un second moment de communion nationale, cette fois hors de la capitale. Ce transfert, soutenu par la présidence, illustrera le principe d’équilibre territorial souvent mis en avant par le gouvernement pour renforcer la décentralisation et la cohésion. En attendant, la figure du « faiseur de ponts » demeure, au Mausolée Marien Ngouabi, un rappel tangible que l’histoire congolaise se construit aussi par la loyauté silencieuse et la patience des bâtisseurs d’entente.