Une convocation révélatrice d’un projet pérenne
Le 30 juillet, dans la salle dense du siège de la Fédération congolaise de football, Barthélémy Ngatsono a livré une liste resserrée de 25 joueurs, émondée de trois éléments par rapport au groupe initialement constitué le 28 juin à Brazzaville (conférence de presse du 30 juillet). Aux yeux du technicien, l’opération relève moins d’une manœuvre disciplinaire que de l’ajustement méthodique d’une équipe appelée à durer au-delà du rendez-vous est-africain. Huit néophytes côtoient des cadres comme le capitaine Junior Makiesse, symbole d’une génération qui a mûri lors des précédentes éditions sans jamais rompre. Cet équilibre entre renouveau et continuité atteste de la volonté fédérale d’inscrire la performance dans le temps long, offrant aux clubs locaux la perspective de retours techniques et financiers mesurables.
Le CHAN, miroir du football domestique africain
Compétition exclusivement réservée aux joueurs évoluant sur le continent, le Championnat d’Afrique des nations constitue une vitrine unique pour les ligues nationales. Pour le Congo, qui se présente pour la cinquième fois après 2014, 2018, 2021 et 2023, l’enjeu dépasse la simple quête d’un trophée. Les parcours honorables de 2018 et 2021, arrêtés aux tirs au but en quarts de finale, ont démontré la solidité tactique des Diables rouges A’ tout en soulignant la nécessité d’un socle infrastructurel renforcé. Le gouvernement, conscient du potentiel d’un football autochtone florissant, a soutenu la modernisation progressive des enceintes et la structuration des centres de formation, considérant le CHAN comme un banc d’essai grandeur nature pour ces réformes.
Un groupe D dense et une dramaturgie sportive assumée
Le tirage au sort place les Congolais dans un groupe au relief prononcé : Sénégal, détenteur du titre, Nigeria, géant continental, et Soudan, habitué des joutes régionales. L’entrée en lice, programmée le 5 août au Aaman Stadium de Zanzibar, offre un duel à haute tension contre les Crocodiles du Nil. Dans les coulisses diplomatiques, Brazzaville voit dans ce plateau relevé l’occasion de consolider ses réseaux bilatéraux avec Dakar et Abuja, tout en affichant un esprit de coopération sportive avec Khartoum. Le football devient ainsi un canal d’échanges où la concurrence sur la pelouse n’occulte pas la possibilité de collaborations techniques ou d’accords de match amicaux générateurs de retombées économiques.
Tanzanie-Kenya-Ouganda : l’axe tripartite d’un tournoi élargi
L’édition 2024 innove par son organisation partagée entre la Tanzanie, le Kenya et l’Ouganda. Ce format tri-national répond aux recommandations de la CAF visant à mutualiser les coûts et à maximiser les investissements en infrastructures. Pour les autorités congolaises, l’événement représente un laboratoire grandeur nature : il démontre qu’une coopération régionale équilibrée peut offrir des dividendes diplomatiques aussi tangibles que la construction solitaire d’un grand stade. Les observateurs notent d’ailleurs que Brazzaville, qui a accueilli les Jeux africains en 2015, pourrait s’inspirer de ce dispositif pour de futurs dossiers de candidature partagée.
La diplomatie sportive, vecteur d’image et de stabilité
Dans un contexte géopolitique d’Afrique centrale marqué par des recompositions rapides, le pouvoir congolais fait du sport un vecteur d’apaisement interne et de visibilité externe. Les gestes protocolaires du chef de l’État lors des matches phares du championnat national, de même que les programmes de soutien aux jeunes athlètes dans les départements du Pool ou de la Cuvette, témoignent d’une continuité stratégique. Le football concentre les regards, fédère les territoires et nourrit un narratif d’unité que les partenaires bilatéraux, notamment la Chine et la Turquie, observent avec intérêt lorsqu’il s’agit de nouer des accords d’équipement.
Objectifs mesurés, attentes élevées
Officiellement, Barthélémy Ngatsono souligne que « le cap est de franchir un nouveau palier, mais sans brûler les étapes » (déclaration du 30 juillet). Dans les couloirs du ministère des Sports, on rappelle que le quart de finale demeure le minimum symbolique à atteindre, gage d’un retour sur investissement pour les clubs qui libèrent leurs talents. La Fédération, pour sa part, anticipe un impact positif sur la fréquentation des stades nationaux si les Diables rouges A’ se hissent en demi-finale. Au-delà des statistiques, l’essentiel réside dans la confirmation d’un processus méthodique : détection, formation, exposition, transfert éventuel et réinvestissement local.
Vers un héritage durable
Qu’il soulève ou non le trophée, le onze congolais repartira d’Afrique de l’Est avec un capital d’expérience et d’image dont la diplomatie s’emparera. Les démarches déjà entamées avec les fédérations de la sous-région pour des forums conjoints sur la médecine du sport ou l’arbitrage vidéo en témoignent. À l’heure où la compétition civile des soft powers africains s’intensifie, Brazzaville mise sur une stratégie patiente : renforcer le statut du Congo comme fournisseur de talents et partenaire logistique fiable. Le CHAN 2024, loin de se résumer à une succession de scores, devient la scène sur laquelle se dessine un futur footballistique cohérent, aligné avec les priorités de stabilité et de modernité portées par les autorités.