Ce qu’il faut retenir
La traversée du fleuve Congo, le 14 octobre 2025, a de nouveau servi de trait d’union entre Kinshasa et Brazzaville. Président Félix-Antoine Tshisekedi a passé vingt-quatre heures dans la capitale congolaise pour s’entretenir avec son homologue Denis Sassou Nguesso sur sécurité, commerce et infrastructures stratégiques.
Le contexte fluvial
Brazzaville et Kinshasa ne sont séparées que par un méandre de quatre kilomètres. Depuis l’indépendance, ce voisinage a nourri un ballet diplomatique souvent discret mais constant. La visite éclair empruntant une embarcation aux couleurs de la RDC rappelle l’importance symbolique du fleuve comme corridor politique et économique.
Depuis la fermeture partielle des frontières lors de la pandémie, les navettes officielles se multiplient pour consolider la confiance. Les ministères des transports des deux pays finalisent actuellement un protocole sanitaire commun destiné aux passagers réguliers, prélude à la reprise intégrale des flux touristiques et commerciaux entre les rives.
Sécurité régionale en partage
Au Palais du Peuple, les deux chefs d’État ont consacré de longs échanges à l’Est congolais. Denis Sassou Nguesso soutient les processus de Doha et de Washington, jugés complémentaires aux pourparlers de Nairobi. Brazzaville mise sur la diplomatie préventive pour éviter une contagion des conflits aux rives occidentales.
Selon une source sécuritaire, Kinshasa a présenté une mise à jour sur le redéploiement de ses forces dans le Nord-Kivu. Brazzaville, qui préside le Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye, offre son expérience de médiation multilatérale pour appuyer la coordination régionale face aux groupes armés.
Les deux délégations ont convenu de relancer les patrouilles mixtes sur le fleuve, gelées depuis 2022. Objectif, sécuriser les barges de carburant et de céréales, souvent exposées à la contrebande. Un officier riverain résume : « Sans sûreté, l’intégration économique flotte au gré des courants ».
Scénarios économiques croisés
Au cœur des échanges figure le mégaprojet route-rail devant relier les deux capitales. L’étude de faisabilité, financée par la Banque africaine de développement, est bouclée. Reste la mobilisation d’un consortium susceptible d’absorber un budget initial évalué à un milliard de dollars, selon une note ministérielle.
Les opérateurs portuaires anticipquent déjà un triplement du trafic d’ici cinq ans. « Avec le rail, un conteneur mettra deux heures contre une journée aujourd’hui », souligne un responsable de la société du chemin de fer congolais. Les chambres de commerce se préparent à une baisse des coûts logistiques de 30 %.
Kinshasa souhaite aussi brancher le futur corridor à l’axe Matadi-Muanda, ouvrant ainsi une fenêtre vers l’Atlantique. Côté Brazzaville, les services douaniers travaillent déjà à une plateforme numérique commune pour fluidifier la collecte de recettes. Les bailleurs saluent une démarche jugée pionnière en matière d’intégration numérique.
Diplomatie énergétique
Les présidents ont par ailleurs validé le calendrier d’exécution de la Boucle de l’amitié énergétique, accord tripartite signé avec l’Angola. L’objectif est d’interconnecter les réseaux et de valoriser les excédents hydroélectriques congolais vers le sud, tout en garantissant un approvisionnement stable pour Brazzaville et Kinshasa.
Le consortium AEE Power-Siemens, déjà impliqué dans la station Inga, a manifesté son intérêt pour les postes de transformation côté RDC. À Brazzaville, la Société nationale d’électricité prépare un appel d’offres pour la mise à niveau des lignes vers Maloukou. Les négociations techniques devraient s’achever au premier trimestre 2026.
Moment de recueillement
Au-delà des dossiers, la visite a revêtu une dimension humaine avec l’hommage rendu à l’homme d’affaires Alain Roger Koumou Obambi, disparu le mois précédent. L’entrepreneur, promoteur de projets agro-industriels, entretenait des relations d’affaires des deux côtés du fleuve. Son décès a ému les milieux économiques.
Après un recueillement familial à Mpila, les deux chefs d’État ont assisté ensemble à la messe de requiem dans la basilique Sainte-Anne. Le rite catholique a été salué comme un geste de proximité culturelle. « Nous partageons plus qu’un fleuve, nous partageons une foi », confie un dignitaire.
Et après ?
Le Président Tshisekedi a regagné Kinshasa en début de soirée, mais les ministres sectoriels sont restés en contact. Un comité binational se réunira à Pointe-Noire en décembre pour examiner les appels d’offres relatifs à la route-rail et à la plateforme douanière. Les observateurs suivent l’agenda de près.
D’ici là, une mission conjointe sillonnera les tracés proposés pour calibrer l’impact environnemental, question sensible dans le bassin du Congo. Les ONG voient dans la coopération transfrontalière un test grandeur nature pour concilier développement et conservation. Les capitales promettent un rapport public avant la fin de l’année.
Sur le front financier, Brazzaville souhaite présenter le projet ferroviaire au guichet vert du Fonds africain de développement, tandis que Kinshasa explore une caution souveraine partagée. « Le temps des échecs programmés est révolu ; nous avançons par paliers réalistes », assure un haut fonctionnaire congolais.
Les chancelleries occidentales voient dans cette dynamique un signe de crédibilité macroéconomique pour la sous-région. Si les jalons sont tenus, la boucle Brazzaville-Kinshasa pourrait devenir une vitrine post-COP30 du partenariat Afrique-Afrique, démontrant qu’un leadership concerté accélère l’intégration sans attendre des financements extérieurs massifs.