Décès et contexte immédiat
La nuit du 31 août, la famille de Déo Namujimbo a annoncé la disparition du romancier franco-congolais, survenue à Vigneux-sur-Seine, en région parisienne. Âgé de soixante-quatre ans, l’auteur luttait depuis plusieurs années contre une maladie chronique, discrètement.
En attendant le programme officiel des funérailles, un deuil familial s’organise dans la même commune, espace de recueillement pour la diaspora congolaise et les acteurs culturels français qui avaient trouvé dans ses récits un pont entre les deux rives francophones.
Le gouvernement congolais de Brazzaville a exprimé ses condoléances dans un communiqué succinct, saluant « une voix littéraire panafricaine ». À Paris, le ministère français de la Culture a évoqué « l’élégance d’une conscience critique nourrie par l’exil ».
Si le motif du déplacement forcé en 2009 demeure sensible, ses proches rappellent qu’il n’avait jamais rompu le dialogue avec les autorités de Brazzaville, multipliant articles et conférences pour promouvoir la diplomatie culturelle plutôt que l’affrontement frontal des discours publics.
Trajectoire littéraire entre Sud-Kivu et Seine
Né à Bukavu, au Sud-Kivu, Namujimbo publie dès les années 1980 des nouvelles inspirées des collines bordant le lac Kivu. Ses textes mêlent réalisme post-colonial et légendes bantoues, attirant rapidement l’attention de revues parisiennes spécialisées en francophonie.
Romancier, poète, essayiste, il refusait les étiquettes. Dans un entretien accordé au magazine Jeune Afrique en 2005, il déclarait : « Je ne suis pas un exilé de papier, je suis le passeur des mémoires oubliées ». Cette formule résumait son approche transnationale.
Installé en Île-de-France, il contribua à plusieurs résidences d’écriture soutenues par le Centre national du livre. Là, il façonna une prose marquée par l’oralité kivutienne et la rigueur argumentative héritée de son parcours universitaire en sciences politiques.
Ses manuscrits inédits, soigneusement archivés, couvrent une quarantaine d’années de création. Les ayants droit négocient aujourd’hui avec deux maisons d’édition congolaises pour rapatrier une partie de cette mémoire, un geste symbolique observé avec intérêt par l’Union africaine.
Un dernier ouvrage aux résonances géopolitiques
En juillet, il publia avec la journaliste française Françoise Germain-Robin « La grande manipulation de Paul Kagame ». L’essai de 365 pages ambitionne de relire trois décennies de conflits dans l’Est de la RDC sous l’angle des jeux d’alliances régionales.
S’appuyant sur des rapports onusiens déclassifiés, l’ouvrage décrit la porosité des frontières et la circulation illicite des minerais stratégiques comme facteurs de guerre. Les auteurs appellent à renforcer les mécanismes de certification et la coopération sécuritaire entre Kinshasa, Kigali et Brazzaville.
La préface, signée par le gynécologue et prix Nobel Denis Mukwege, salue « le courage d’une investigation indépendante qui éclaire des zones d’ombre indispensables à tout processus de paix ». Plusieurs diplomates rwandais ont critiqué le livre, jugeant l’analyse « partialement documentée ».
À Brazzaville, l’Université Marien-Ngouabi envisage de consacrer un séminaire à l’ouvrage, considérant son intérêt pour la diplomatie préventive dans les Grands Lacs. Cette initiative rejoint la feuille de route continentale visant à promouvoir la médiation plutôt que la confrontation.
Réactions diplomatiques et intellectuelles
Le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, a décrit Namujimbo comme « un artisan de la paix par la littérature », rappelant que ses conférences de 2018 à Brazzaville avaient réuni étudiants rwandais et congolais autour d’un même podium.
Du côté de l’Organisation internationale de la Francophonie, la secrétaire générale Louise Mushikiwabo a souligné la nécessité « de poursuivre le dialogue interculturel que son œuvre avait engagé ». Un message relayé par plusieurs chancelleries africaines sur les réseaux sociaux institutionnels.
Les universitaires interrogés estiment que sa disparition ouvre un défi : transformer l’émotion en politique publique de mémoire. Le professeur camerounais Achille Mbembe propose, dans une tribune, la création d’un Prix Namujimbo pour la recherche sur les violences transfrontalières.
Dans les milieux diplomatiques brazzavillois, on rappelle que le président Denis Sassou Nguesso accorde une place stratégique à la culture dans ses initiatives de médiation régionales. L’itinéraire de Namujimbo apparaît ainsi comme un exemple de soft power complémentaire à l’action étatique.
Quel héritage pour l’espace francophone?
Les maisons d’édition notent déjà une hausse des demandes pour ses ouvrages, signe d’un intérêt renouvelé pour la littérature de témoignage. La chaîne panafricaine Afrique Média prévoit un cycle de lectures filmées destiné à toucher un public juvénile connecté.
L’Unesco, informée de ces initiatives, envisage de classer une partie de ses archives au Registre Mémoire du monde. Cette reconnaissance internationale renforcerait la visibilité d’une œuvre qui, au-delà du deuil, fournit des matériaux essentiels aux discussions de paix régionales.
Sur le plan académique, plusieurs colloques sont annoncés entre Brazzaville, Kinshasa et Kigali afin de croiser les perspectives. Les organisateurs espèrent que la figure du romancier servira de catalyseur à une dynamique de recherche collaborative et non compétitive.
En définitive, la disparition de Déo Namujimbo interroge les États de l’espace francophone : comment transformer la puissance des narrations privées en dynamiques institutionnelles durables ? Les prochains mois diront si son héritage dépasse l’éloquence des hommages officiels rendus ces derniers jours.
