Une médiation qatarie aux ambitions régionales
Le 6 juillet, sous les dorures du ministère des Affaires étrangères qatari, la République démocratique du Congo et les représentants du Mouvement du 23 mars ont apposé leurs signatures au bas d’une « déclaration de principes ». Le document, salué par l’Union africaine comme un « tournant majeur », engage les parties à négocier, d’ici au 18 août, un accord de paix exhaustif. Doha, qui cumule déjà les cas palestinien, afghan ou tchadien dans son carnet diplomatique, s’offre ainsi une nouvelle vitrine de médiateur africain. « Le Qatar entend démontrer qu’il peut contribuer à la stabilité du continent autant qu’à celle du Golfe », confie un conseiller proche de Cheikh Mohammed ben Abdelrahmane Al Thani.
Les racines historiques d’un conflit transfrontalier
L’engrenage remonte aux lendemains du génocide rwandais de 1994, lorsque près de deux millions de réfugiés hutus franchissent la frontière zaïroise. Les milices responsables des massacres se mêlent alors aux civils et, depuis l’Est congolais, mènent des incursions contre le régime tutsi de Kigali. À deux reprises, en 1996 puis en 1998, l’armée rwandaise intervient pour neutraliser ces combattants, ouvrant la voie à ce que d’aucuns ont qualifié de « première guerre mondiale africaine ». Plus de six millions de morts – résultats conjugués des combats, des famines et d’épidémies – ont été recensés, rappelant à la communauté internationale le prix d’une instabilité chronique que les populations locales, de Goma à Bukavu, payent sur plusieurs générations.
Vingt-huit ans plus tard, Kigali soutient encore que la présence résiduelle des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda justifie des opérations au-delà de sa frontière. Kinshasa, pour sa part, voit dans ces incursions un viol répété de sa souveraineté. La signature de Doha devait justement permettre aux deux capitales de s’accorder sur un mécanisme conjoint de sécurisation, placé sous le regard de l’Union africaine et de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs.
Les dessous miniers et la course aux métaux stratégiques
L’Est congolais recèle un sous-sol estimé à 24 000 milliards de dollars de cobalt, de coltan, de cuivre ou de terres rares. Dans un contexte de transition énergétique mondiale, ces gisements aiguisent les appétits. Le 5 juillet encore, la société américaine KoBold Metals annonçait un programme d’exploration d’envergure, encouragé par Washington désireux de contrebalancer la présence croissante de la Chine dans la filière des batteries électriques. Kigali, que plusieurs rapports onusiens accusent de profiter d’exportations « frauduleuses » via les zones sous contrôle rebelle, dément tout pillage mais admet veiller « à ce que les flux miniers ne financent pas les auteurs du génocide ».
Cette dimension économique pèse lourd dans la négociation. Un diplomate européen basé à Addis-Abeba constate que « tant que la traçabilité des minerais n’est pas garantie, les armes trouveront toujours un financeur ». À Doha, un groupe de travail technique a donc été créé pour réfléchir à un mécanisme de certification régional inspiré du Processus de Kimberley, censé tarir les flux illégaux sans pénaliser l’exportation légitime.
Justice transitionnelle : entre droit et réalpolitik
Le volet judiciaire constitue l’autre pierre d’achoppement. Les Nations unies documentent depuis janvier une recrudescence d’exactions attribuées tant aux Forces armées congolaises qu’aux rebelles : exécutions sommaires d’enfants, violences sexuelles, enrôlements forcés et attaques d’hôpitaux. « Nous ne bâtirons pas la paix sans justice ni réparation », martèle Amani Muisa, notable de Goma. Kinshasa entend confier ces dossiers à sa justice militaire, tandis que la rébellion exige une amnistie partielle pour ses combattants non impliqués dans des crimes graves.
Le texte paraphé à Doha évoque un « mécanisme de justice transitionnelle hybride », associant tribunaux congolais, Commission africaine des droits de l’homme et expertise onusienne. Reste à savoir comment concilier l’exigence d’impunité zéro et la nécessité, politiquement admise, d’intégrer une partie des forces rebelles dans l’armée nationale. « La difficulté n’est pas de parapher des principes, mais de faire taire les kalachnikovs », glisse, lucide, un diplomate de l’Union africaine.
Vers un calendrier de sortie de crise encore fragile
Le communiqué final fixe un horizon : avant le 18 août, un accord global devra préciser le retrait des M23 des zones conquises, le cantonnement de leurs unités et la livraison de leurs chefs recherchés à la justice congolaise. Or, à peine les signatures apposées, chaque camp a proposé son propre séquencement. La rébellion subordonne son désengagement à la création d’une zone tampon sous supervision régionale ; Kinshasa exige un retrait « immédiat et sans conditions ».
Pour épauler la mise en œuvre, Doha a promis une enveloppe logistique, quand l’Union africaine étudie l’envoi d’observateurs supplémentaires. Sur le terrain, les civils oscillent entre espoir et scepticisme. À Rutshuru, Bertine Mateso, commerçante, confie par téléphone : « Les canons se sont tus depuis trois jours, mais nous n’avons pas oublié les promesses du passé ».
Au-delà du calendrier, la crédibilité de l’accord se jouera sur la synchronisation d’intérêts parfois divergents : la sécurisation de la frontière côté rwandais, la réintégration progressive des rebelles, la reconstitution de l’autorité de l’État congolais et la mise en place d’une gouvernance minière transparente. Autant d’étapes qui nécessiteront l’appui constant des capitales africaines, de Washington, de Bruxelles et de Pékin. L’issue de cette diplomatie polycentrique conditionnera, pour une large part, la stabilité des Grands Lacs et la crédibilité grandissante du Qatar comme faiseur de paix.