Un courrier xénophobe dans le huis clos du pouvoir législatif français
Le 11 juillet 2025, alors que la 50ᵉ session de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie bat son plein au Palais du Luxembourg, une missive d’allure anodine arrive sur le bureau de Nadège Abomangoli. L’enveloppe porte la marque discrète d’un expéditeur encore non identifié, mais son contenu se révèle d’une brutalité saisissante. « Une Noire n’a rien à faire à ce poste », peut-on notamment lire, entre autres invectives exhumant l’imaginaire colonial. En rendant la lettre publique sur le réseau X, la vice-présidente braque les projecteurs sur un phénomène dont beaucoup, au cœur des institutions, murmurent la persistance sans toujours la nommer.
Cet épisode intervient dans un contexte de crispations politiques entretenues par la dissolution anticipée de l’Assemblée, hypothèse évoquée depuis plusieurs mois pour sortir d’un paysage parlementaire fragmenté. Les auteurs de la missive entendent manifester leur refus d’une représentation inclusive là où, précisément, la Constitution française proclame l’égalité de tous les citoyens quelle que soit leur origine. La violence de la forme renseigne sur le fond : les lignes de fracture identitaires restent actives, quand bien même la République se réclame d’un universalisme abstrait.
La riposte verbale d’une élue franco-congolaise aguerrie aux joutes républicaines
Native de Brazzaville et élue de Bondy-Aulnay-sous-Bois sous la bannière de La France insoumise, Nadège Abomangoli a choisi de répondre publiquement, inscrivant son geste dans une longue tradition de contre-parole minoritaire. « Ils pensent nous humilier ; ils se trompent. Ce pays, c’est aussi le nôtre », écrit-elle dans un message qui conjugue fermeté et attachement aux idéaux républicains. Derrière la rhétorique combative, l’élue rappelle que la participation politique des descendants de l’immigration repose sur une légitimité conquise à chaque génération, de la Résistance à la reconstruction puis aux mandatures contemporaines.
Le soutien immédiat de la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, et d’un large éventail de parlementaires atteste de la vigilance institutionnelle face aux dérives racistes. À l’intérieur des murs feutrés du Palais Bourbon, l’incident relance un débat récurrent : comment concilier la liberté d’expression et la protection des élus contre les discours de haine ? Les services de sécurité, souvent discrets, se voient rappelés à la nécessité d’adapter leurs protocoles à la multiplication des menaces virtuelles et épistolaires.
Une présidence de séance synonyme de miroir social
L’accession d’une femme noire au perchoir, fût-ce de manière tournante, produit un effet de loupe sur les représentations collectives. Dans un hémicycle où la moyenne d’âge et la composition sociodémographique diffèrent encore sensiblement de la population française, chaque prise de parole d’Abomangoli devient un moment de pédagogie institutionnelle autant qu’un symbole de mobilité sociale. Les témoignages recueillis parmi les visiteurs de l’Assemblée montrent un mélange d’admiration et de surprise, preuve que la normalisation de ces parcours demeure inachevée.
Pour les représentants de la diaspora congolaise, l’événement résonne doublement. Il incarne l’étendue des ponts humains entre la rive droite du fleuve Congo et la rive gauche de la Seine, tout en soulignant les espérances placées dans la coopération bilatérale. En privé, plusieurs diplomates congolais rappellent que la modernisation des rapports franco-congolais passe aussi par la reconnaissance de parcours tels que celui de la vice-présidente, capable de naviguer dans deux sphères politiques sans renier ni l’une ni l’autre.
Rappel historique : de la Conférence de Brazzaville à l’Assemblée nationale
L’ironie tragique veut que Brazzaville ait accueilli, en 1944, la conférence qui posa les bases d’une évolution du rapport entre la France et son empire colonial. Huit décennies plus tard, l’arrière-petite-fille symbolique de cette rencontre siège au sommet d’une chambre française, mais se voit rappeler par quelques voix minoritaires la persistance d’un passé inassumé. Cette rémanence historique éclaire l’hostilité de la lettre : elle n’est pas un accident, mais le symptôme d’un récit national encore disputé.
Pour la recherche académique, l’incident offre un cas d’étude contemporain sur la longue durée des stéréotypes coloniaux. Il illustre la manière dont les formes d’exclusion se recomposent, passant de la justification pseudo-biologique d’hier à la rhétorique identitaire d’aujourd’hui. Les spécialistes de la mémoire collective y voient également un avertissement : la transmission de l’histoire coloniale, encore lacunaire dans certains programmes scolaires, entretient des angles morts propices à la résurgence des discours de haine.
Implications diplomatiques entre Paris et Brazzaville
Sur le plan bilatéral, les autorités congolaises ont suivi l’affaire avec une prudente attention. Sans accabler leur partenaire français, des sources proches du ministère congolais des Affaires étrangères saluent néanmoins la réactivité des responsables parlementaires français, y voyant la preuve d’un État de droit réactif et respectueux de ses engagements internationaux en matière de lutte contre le racisme. Cet écho positif contribue à renforcer l’image d’un partenariat basé sur le respect mutuel et la reconnaissance des diasporas comme vecteur d’influence douce.
Le président Denis Sassou Nguesso, dont la diplomatie se veut constructive et tournée vers la coopération Sud-Nord, a, selon nos informations, adressé un message de solidarité à l’élue franco-congolaise. L’initiative, confidentielle mais confirmée par plusieurs diplomates, souligne la volonté de Brazzaville de promouvoir la concorde et de se tenir aux côtés des ressortissants congolais engagés dans les institutions étrangères. Un tel geste offre également l’occasion de réaffirmer l’importance du dialogue interculturel dans un climat géopolitique marqué par des recompositions rapides.
Au-delà de l’indignation, la résilience institutionnelle
La trajectoire de cette affaire appelle une lecture nuancée. D’un côté, elle dévoile la persistance d’une frange résolument hostile à l’élargissement du champ de la représentation politique. De l’autre, elle exhibe la capacité des institutions françaises à réagir sans délai, à condamner fermement et à se solidariser autour de leurs élus. En filigrane, la question n’est pas seulement celle de la diversification du personnel politique, mais celle de la qualité du lien civique au sein d’une nation plurielle.
En clôture de la session de la Francophonie, Nadège Abomangoli a présidé symboliquement la dernière séquence des travaux, sous les applaudissements nourris d’une assistance cosmopolite. Ce geste final – simple, protocolaire, mais chargé de sens – rappelle que le meilleur antidote aux discours de haine réside parfois dans la normalité du fonctionnement démocratique. À l’heure où les chancelleries s’inquiètent de la montée des extrêmes, cette résilience constitue un signal rassurant pour les partenaires internationaux, Congo-Brazzaville compris, quant à la capacité de la République française à protéger ses élus et, par-delà, son idéal universaliste.