Un débarquement humanitaire à haute teneur symbolique
Le 23 juin 2025, les grues du port autonome de Douala ont extrait trente-neuf conteneurs estampillés « Government of India ». Leur cargaison – mille tonnes de riz blanc non basmati, palettes de médicaments, tentes et couvertures – a été officiellement remise aux autorités camerounaises en présence du ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji, du haut-commissaire indien Vijay Khanduja et du gouverneur du Littoral Samuel Dieudonné Ivaha Diboua. Sur le quai, la solennité militaire des discours contrastait avec la simplicité des sacs de 50 kg empilés derrière les pupitres.
« Cette aide arrive à un moment critique pour des milliers de familles ayant perdu maisons et récoltes », a rappelé le ministre, évoquant les crues qui ont ravagé les plaines septentrionales. Le diplomate indien a, pour sa part, insisté sur « l’amitié ancienne entre New Delhi et Yaoundé » et sur la logique de coopération sud-sud chère aux pays émergents.
Les vulnérabilités structurelles de la filière rizicole camerounaise
Si le don répond à une urgence humanitaire, il met surtout en lumière la dépendance chronique du Cameroun aux importations de riz. En 2024, la production locale s’est limitée à 140 710 tonnes pour une demande évaluée à 648 085 tonnes. L’écart, comblé par l’achat de cargaisons étrangères, a coûté 318,5 milliards de F CFA, un bond de près de 60 % sur un an.
Les facteurs explicatifs sont bien connus : rendements stagnants (2,5 t/ha en moyenne), équipements d’irrigation obsolètes, absence de chaînes logistiques réfrigérées et concurrence de variétés asiatiques moins chères. L’argument populaire avancé par le taximan Polycarpe H., présent sur le quai, résume un sentiment partagé : « Nos terres sont fertiles, pourquoi tendre éternellement la main ? » La question, lancinante, renvoie à la faible attractivité de la riziculture pour la jeunesse rurale et aux lenteurs de la réforme foncière.
La diplomatie alimentaire indienne : soft power et sécurité intérieure
New Delhi ne cache plus son ambition de devenir un fournisseur incontournable pour les pays vulnérables aux chocs climatiques. Le décret indien d’octobre 2023 autorisant l’exportation ciblée de riz non basmati – 190 000 tonnes pour le seul Cameroun – s’inscrit dans une stratégie de soft power assumée. Le ministère indien du Commerce revendique « un partenariat gagnant-gagnant » qui consolide des débouchés externes tout en cultivant un capital sympathie auprès des capitales africaines.
Cette politique n’est pas dénuée d’arrière-pensées domestiques : écouler les excédents de la récolte kharif soulage les entrepôts de la Food Corporation of India et soutient les prix payés aux agriculteurs. Elle offre aussi aux diplomates indiens un argumentaire convaincant dans les forums multilatéraux où l’Inde se présente comme défenseur du Sud global.
Entre gratitude et prudence du côté camerounais
Yaoundé accueille favorablement le geste indien, y voyant un « signal fort » à l’adresse d’autres partenaires. Le gouvernement rappelle cependant que l’aide sera dispatchée dans un délai de quarante-huit heures, sous supervision administrative, afin d’éviter les dérives observées lors d’anciennes distributions. La transparence, devenue exigence sociétale, constitue une condition tacite à la poursuite de ce type de coopération.
Sur le plan commercial, certains experts du Conseil interprofessionnel du riz estiment que ces importations subventionnées peuvent « déprimer les prix à la ferme » et décourager l’investissement local. Pour écarter cette hypothèse, le ministre de l’Agriculture a annoncé l’extension du programme Agropoles à cinq vallées irriguées dès 2026, assortie d’incitations fiscales sur les intrants.
Vers une réciprocité durable ?
L’épisode du don indien relance le débat sur la nature de la solidarité internationale à l’ère des dérèglements climatiques. Le socio-économiste camerounais Célestin Nguini rappelle que « la dépendance alimentaire, si elle perdure, fragilise la souveraineté stratégique ». À l’inverse, le chercheur indien Harsh V. Pant voit dans ces opérations « une preuve que les puissances émergentes peuvent agir sans l’intermédiation des bailleurs traditionnels ».
Reste à transformer la gratitude circonstancielle en partenariat productif. New Delhi a déjà proposé une assistance technique pour moderniser les stations de recherche rizicole de Nanga-Eboko. De son côté, Yaoundé envisage de faciliter l’accès des investisseurs indiens à son bassin cottonnier, où les besoins en engrais et machines demeurent criants. La réussite de cette démarche dépendra d’une articulation claire entre aide, commerce et transferts de technologie, faute de quoi l’histoire retiendra seulement l’image d’un sac de riz saupoudrant un problème plus profond.