De la guérilla au geste symbolique
Le 19 avril dernier, dans la moiteur d’une salle ouverte du palais présidentiel de Bangui, deux kalachnikovs ont été déposées sur un drap blanc. Derrière ce geste hautement chargé de symboles se tenaient le général Sembé Bobo pour l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC) et le commandant Ali Darassa pour 3R, deux formations qui, depuis plus d’une décennie, tenaient le nord-ouest et le centre du territoire sous leur feu. À leurs côtés, le président Faustin-Archange Touadéra, entérinait une séquence dont la capitale n’osait plus rêver : la dissolution pure et simple des ailes politiques et militaires de ces mouvements. « Nous ne capitulons pas, nous choisissons la République », a glissé Darassa tandis que les photographes enregistraient l’instant.
Au-delà de l’émotion, la portée politique est considérable. L’UPC et 3R figuraient parmi les protagonistes les plus aguerris du conflit. Leur renoncement public à la lutte armée déplace les lignes d’une cartographie sécuritaire que beaucoup jugeaient figée. Certes, chacun se souvient des accords avortés de 2013 et 2015, mais la scène de Bangui, adossée à un chronogramme précis et à des garants régionaux identifiés, semble inaugurer une dynamique nouvelle, plus ancrée dans la realpolitik que dans la liturgie des cessez-le-feu de circonstance.
Un mécanisme DDR sous haute surveillance
Le texte paraphé à N’Djamena détaille un processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) échelonné sur dix-huit mois. Déjà, 1 300 combattants enregistrés ont gagné des sites de cantonnement sécurisés par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca). Les plus aptes intégreront progressivement les Forces armées centrafricaines (FACA) après un filtrage mené par l’état-major, tandis que les autres rejoindront des programmes de reconversion communautaire axés sur l’agriculture et les travaux publics.
Les bailleurs restent prudents. Banques régionales et agences onusiennes exigent un suivi indépendant des flux financiers pour éviter que les allocations ne se transforment en primes à la sédition. Le gouvernement centrafricain, conscient de cette méfiance, a ouvert ses registres au Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme. La transparence est indispensable : en 2018, des soldes non versées avaient relancé des mutineries dans plusieurs garnisons. Cette fois, l’exécutif assure avoir verrouillé les circuits budgétaires afin que l’incident ne se reproduise pas.
Bangui, N’Djamena et Brazzaville dans l’orchestre régional
Si la médiation tchadienne, incarnée par le président Mahamat Idriss Déby Itno, occupe le devant de la scène, la coulisse diplomatique est tout aussi décisive. Brazzaville, forte de son expérience en matière de négociations régionales, a discrètement épaulé les discussions. Denis Sassou Nguesso, doyen politique de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, a multiplié les échanges téléphoniques avec ses homologues afin de garantir des lignes de communication fluides entre les parties. Selon un conseiller ministériel proche du dossier, « la sagesse accumulée par le président congolais dans la gestion des crises frontalières a pesé dans la balance ».
L’implication congolaise, loin d’apparaître intrusive, s’inscrit dans une logique de sécurité collective. Brazzaville voit dans la stabilisation de son voisin oriental un préalable à la sécurisation du corridor fluvial reliant Pointe-Noire à Bangui. En ce sens, soutenir le DDR centrafricain revient à sanctuariser un axe logistique vital pour l’ensemble de la sous-région.
La communauté diplomatique entre prudence et soutien
Dans les chancelleries européennes, la séquence a été saluée tout en étant placée sous condition. Paris évoque « un jalon encourageant » mais rappelle l’importance de la bonne gouvernance, tandis que Berlin met en avant la nécessité d’investir dans l’éducation civique des ex-combattants. De son côté, Moscou, déjà présent militairement sur le terrain, assure vouloir réorienter une partie de ses conseillers vers la formation aux métiers civils, signal interprété par certains observateurs comme une volonté de normalisation.
Washington, pour sa part, insiste sur la justice transitionnelle, élément-clé pour éviter tout sentiment d’impunité. L’argument est d’autant plus sensible que l’amnistie générale n’est pas inscrite dans l’accord ; seule la création d’une commission vérité est mentionnée. Cette architecture hybride, combinant tribunaux ordinaires et médiations coutumières, pourrait devenir un laboratoire jurisprudentiel pour la région.
Les défis d’une paix à consolider
L’enthousiasme mesuré des bailleurs ne masque pas les zones d’ombre. Des poches d’autodéfense non affiliées à l’UPC ou à 3R demeurent actives dans l’arrière-pays. Par ailleurs, la contrebande de diamants, principale source de revenus des groupes armés, continue de financer des réseaux clandestins prêts à se réactiver. Un diplomate africain résume la situation : « Nous avons atteint le pic symbolique ; l’atterrissage institutionnel reste à négocier. »
La stabilité future dépendra aussi de la capacité de Bangui à proposer un pacte fiscal réformé. Tant que l’État ne parviendra pas à lever l’impôt hors de la capitale, le financement de la paix restera tributaire des donateurs internationaux. Dans cette équation, le soutien politique de pays comme le Congo-Brazzaville, qui maintient un discours de solidarité régionale, offre une garantie morale non négligeable. C’est là peut-être la principale nouveauté : la résolution d’une crise centrafricaine n’est plus perçue comme un dossier isolé, mais comme un maillon d’un ensemble sécuritaire indissociable, où la stabilité de chacun conditionne la prospérité de tous.