Le défi mondial et ses répercussions congolaises
Les chiffres récemment publiés par l’UNESCO sont sans appel : 272 millions d’enfants et de jeunes restent aujourd’hui hors du système scolaire, soit 21 millions de plus que les estimations précédentes. Sur cette toile de fond inquiétante, la République du Congo observe attentivement l’évolution des discussions internationales. « Nous sommes tous comptables de l’Agenda 2030 », a rappelé le ministre congolais de l’Enseignement préscolaire, primaire, secondaire et de l’alphabétisation lors d’un récent forum à Addis-Abeba. L’enjeu n’est pas seulement moral ; il concerne directement la stabilité macroéconomique et la résilience sociale du pays.
Un modèle budgétaire qui mise sur l’investissement social
Brazzaville consacre déjà près de 17 % de ses dépenses publiques à l’éducation, un ratio supérieur à la moyenne de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Depuis 2019, la gratuité de l’enseignement primaire a été consolidée, tandis qu’un programme de cantines scolaires financé conjointement avec le Programme alimentaire mondial cible les zones rurales du Niari et de la Likouala. Les premiers résultats sont tangibles : le taux net de scolarisation au cycle 1 est passé de 82 % à 88 % en trois ans, selon les données nationales validées par la Banque mondiale. « Chaque franc investi dans l’école rime avec stabilité sociale », souligne la secrétaire générale du ministère, évoquant la baisse corrélative des mariages précoces observée dans la Cuvette.
La question cruciale de l’architecture financière internationale
Malgré ces avancées, les projections budgétaires laissent entrevoir une tension croissante : le Congo doit absorber d’ici 2026 près de 650 millions de dollars de service de la dette. Or, l’analyse du Global Education Monitoring Report montre que le passage de l’aide-don à l’aide-prêt pourrait renchérir le coût du capital pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, catégorie dans laquelle figure le Congo depuis 2021. Pour éviter que la charge d’endettement ne rogne les crédits scolaires, Brazzaville plaide, à l’instar de la Commission économique pour l’Afrique, pour des opérations élargies d’échanges « dette contre éducation ». La réussite ivoirienne de 2023, qui a converti 99 millions d’euros d’obligations bilatérales en bourses et infrastructures scolaires, sert ici de référence positive.
Lors de la dernière Assemblée générale des Nations unies, le chef de la diplomatie congolaise a proposé que 20 % des droits de tirage spéciaux récemment alloués au continent soient fléchés vers un Fonds africain d’amorçage éducatif, géré par la Banque africaine de développement. L’idée recueille un intérêt croissant au sein du G77, soucieux de conjuguer viabilité financière et souveraineté pédagogique.
Vers un pacte multilatéral centré sur l’Afrique centrale
La Quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, qui s’ouvre cette semaine à Doha, offre une tribune stratégique. Brazzaville y présentera une note conceptuelle articulée autour de trois axes : accroître la part des subventions dans l’aide éducative destinée aux pays à revenu faible et intermédiaire, réduire de 30 % le coût du crédit multilatéral grâce à une garantie partagée, et mutualiser les achats de manuels numériques afin de profiter d’économies d’échelle. Selon une étude conjointe du ministère congolais des Finances et de l’UNICEF, ces mesures permettraient de dégager, à l’échelle de la sous-région, près de 450 millions de dollars annuels supplémentaires dès 2025.
Le président Denis Sassou Nguesso a rappelé, lors de la Journée internationale de l’éducation, que « l’intégration sous-régionale n’a de sens que si elle forme des citoyens instruits, capables d’innover et de pacifier les échanges ». Cette approche, jugée « constructive » par plusieurs chefs de mission européens, s’aligne sur la logique de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui voit l’éducation comme pilier de l’émergence.
Un retour sur investissement sociopolitique et sécuritaire
Au-delà des indicateurs scolaires, les dividendes d’un financement accru se mesurent déjà. Les observations conjointes de la Commission nationale des droits de l’homme et du PNUD montrent qu’un point de scolarisation supplémentaire se traduit, dans le Pool et la Sangha, par une diminution d’environ 0,8 point des incidents liés aux conflits fonciers. Par ailleurs, le secteur privé souligne l’impact sur l’employabilité locale : dans sa dernière note de conjoncture, la Chambre de commerce de Pointe-Noire relève une hausse de 12 % des recrutements dans les entreprises de technologies vertes, segment directement corrélé à l’expansion des filières scientifiques dans les lycées publics.
Ainsi, l’argument du Congo dépasse la rhétorique humanitaire. Il s’agit d’un plaidoyer fondé sur la sécurité collective, l’innovation et la croissance diversifiée. L’éducation apparaît comme un multiplicateur de paix et un amortisseur macroéconomique, justifiant l’appel à une solidarité financière plus ambitieuse.
Une fenêtre diplomatique à ne pas manquer
La fenêtre d’opportunité est ténue, mais réelle. À raison de deux jours et demi de dépenses militaires mondiales, la communauté internationale pourrait combler le déficit annuel de financement éducatif, rappelle le directeur général de l’UNESCO. Dans ce contexte, la diplomatie congolaise se positionne comme un relai crédible entre bailleurs traditionnels et économies émergentes, capable de catalyser un compromis opérationnel.
Soutenu par une trajectoire interne cohérente et par un discours axé sur la responsabilité partagée, Brazzaville mise sur la Conférence de Doha pour inscrire l’éducation au rang de priorité budgétaire incontestable. Un pari que nombre d’observateurs considèrent réaliste, dès lors qu’il s’accompagne d’une gouvernance transparente et d’un suivi rigoureux des engagements. Les prochains mois diront si les capitales donatrices traduisent cette dynamique en crédits effectifs. Pour l’heure, le Congo-Brazzaville aura, à tout le moins, rappelé que la valeur stratégique de l’école ne se monnaie pas ; elle s’investit.