Ce qu’il faut retenir de l’élection
À l’issue de cinq tours express, Khaled El-Enany a recueilli 55 suffrages sur 58 au Conseil exécutif de l’UNESCO, scellant une victoire quasi unanime. Ce chiffre inédit traduit la capacité de l’Afrique à se coaliser derrière une candidature, tout en ménageant ses diversités régionales.
Un scrutin au parfum de consensus africain
Le scrutin s’est déroulé le 6 octobre 2025 au siège parisien. Selon plusieurs diplomates, l’Égypte avait depuis des mois consolidé des appuis en Ligue arabe, en Francophonie et au sein du G77, limitant l’espace de manœuvre des autres prétendants, pourtant réputés crédibles.
L’Afrique centrale, portée par Brazzaville, avait néanmoins choisi d’aligner Édouard Firmin Matoko, actuel sous-directeur général pour la priorité Afrique. Son maintien jusqu’au dernier tour, malgré l’écart, a permis d’afficher la pluralité de sensibilités sans remettre en cause l’unité continentale recherchée.
Khaled El-Enany, érudit et diplomate
Né en 1971, Khaled El-Enany est professeur d’égyptologie à l’Université du Caire. Ministre des Antiquités de 2016 à 2022, il a orchestré la médiatique parade des momies royales et supervisé l’ouverture du Grand Musée égyptien, symbole de soft-power africain et méditerranéen.
Dans un entretien éclair avec la presse, il assure vouloir « faire de l’UNESCO le laboratoire mondial du dialogue interculturel ». Son réseau académique, son expérience muséale et sa connaissance fine des mécanismes budgétaires ont rassuré les capitales soucieuses d’une gouvernance plus efficace et d’un impact terrain mesurable.
Édouard Firmin Matoko, une candidature respectée
Natif de Pointe-Noire, Édouard Firmin Matoko se prévaut, lui, de trois décennies passées dans les couloirs de l’UNESCO. Chargé de la priorité Afrique depuis 2018, il a piloté des programmes d’éducation numérique qui bénéficient à plusieurs établissements congolais et camerounais.
Sa candidature, soutenue par la CEMAC et la Communauté internationale des Grands Lacs, visait à maintenir la zone centrale dans les radars de financement. « Le simple fait d’être dans la course augmente notre visibilité », glissait un diplomate congolais, saluant une campagne « digne ».
Une Afrique plus audible à Paris
Au-delà des chiffres, le duel amical entre l’Égypte et le Congo démontre la maturation d’une diplomatie africaine capable de présenter plusieurs profils qualifiés sans se saborder. Les observateurs voient là un capital politique à consolider dans d’autres enceintes multilatérales.
Cette cohésion s’est traduite par un réflexe de vote sud-sud : la quasi-totalité des États africains ont voté El-Enany, puis ont offert un score d’estime à Matoko au dernier tour. Une stratégie pensée pour envoyer un message d’unité plutôt qu’une image de rivalités.
Priorités annoncées pour la mandature
Devant le Conseil, le nouveau directeur général a listé quatre axes : consolider la protection du patrimoine face aux conflits, généraliser l’éducation numérique inclusive, accélérer la science ouverte et amplifier l’action climatique auprès des jeunes du Sud, cible jugée prioritaire.
Un calendrier prévisionnel sera présenté en décembre. Plusieurs partenaires, dont la Banque africaine de développement, envisagent déjà des cofinancements. « Nous avons besoin d’institutions qui délivrent », confiait la représentante du Sénégal, soulignant le potentiel de l’ex-ministre pour convertir les promesses en projets tangibles.
Sur le dossier budgétaire, il promet une recherche accrue de ressources extrabudgétaires afin de réduire la dépendance à quelques bailleurs historiques. Cette orientation rassure les membres préoccupés par la pérennité des programmes en Afrique, au Moyen-Orient et dans les petits États insulaires.
Gains pour Le Caire et pour Brazzaville
Pour Le Caire, cette élection renforce un volet de leadership soft-power construit depuis la COP27. Les retombées touristiques et scientifiques pourraient être immédiates grâce aux campagnes de valorisation du patrimoine pharaonique, donnant aussi une visibilité accrue aux savoir-faire créatifs du continent.
Brazzaville tire également profit du processus. En offrant une alternative crédible, la diplomatie congolaise a accru sa présence dans les groupes de travail et devrait conserver des postes stratégiques, notamment sur la thématique des bassins forestiers, dossier écologique cher au président Denis Sassou Nguesso.
Et après pour le multilatéralisme culturel
Sur le terrain, les experts s’attendent à une hausse des projets conjoints UNESCO-Congo, qu’il s’agisse de numérisation des manuscrits de Loango ou de formation des jeunes aux métiers du patrimoine. « C’est la meilleure manière d’ancrer notre visibilité dans la durée », analyse un universitaire local.
Reste la question de la participation des États-Unis, sortis en 2017 puis revenus partiellement. El-Enany prévoit d’envoyer rapidement une délégation au Capitole pour sécuriser le retour complet de Washington, indispensable à l’équilibre financier de l’institution et à son aura universelle.
Les capitales surveilleront aussi la gestion des tensions mémorielles, du génocide au Rwanda aux artefacts africains conservés en Europe. L’ancien ministre égyptien veut réunir un panel d’historiens africains et européens pour proposer, d’ici 2027, un cadre commun sur la restitution.
En remportant 95 % des voix, Khaled El-Enany débute son mandat avec un capital politique rare. Reste à transformer cette légitimité en résultats mesurables. Les premiers arbitrages budgétaires, attendus au printemps 2026, diront si l’Afrique unie a converti son élan symbolique en influence durable.
Un comité d’évaluation indépendant sera mis sur pied afin de publier chaque semestre un tableau de bord public, outil inédit pour mesurer les avancées promises.