Une dernière révérence à Kakak qui résonne sur tout le continent
Sous le ciel nuageux de Kakak, petit village de la Sanga-Maritime, la terre rouge a accueilli le 12 juillet 2025 la dépouille d’Emmanuel Kundé. Autour de la famille, des coéquipiers d’hier et des responsables publics, c’est l’ensemble de l’Afrique sportive qui semblait retenir son souffle. De la Fédération camerounaise de football aux chancelleries accréditées à Yaoundé, tous ont salué « la rigueur tranquille d’un géant », pour reprendre les mots du ministre camerounais des Sports présent sur place. La sobriété de la cérémonie, ponctuée d’un chœur traditionnel bassa, contrastait avec la force symbolique du moment : un monument du football quittait la scène terrestre.
Brazzaville se souvient du patron silencieux de sa défense
Au-delà de la Sanaga, l’émotion a gagné les berges du fleuve Congo. Plusieurs personnalités congolaises, emmenées par le conseiller spécial chargé des sports, ont fait le déplacement pour transmettre le message de condoléances du gouvernement de la République du Congo. Dans la capitale Brazzaville, le Stade Massamba-Débat a brièvement rallumé ses projecteurs la veille, diffusant les images de ce défenseur longiligne qui, à trois reprises dans les années 1980, avait électrisé les gradins. Les anciens de Diables Noirs et d’Étoile du Congo se rappellent encore de son coup franc victorieux de 1983, une frappe sèche qui avait arraché des applaudissements unanimes, y compris chez les supporters locaux, signe d’un respect gagné au mérite.
Les années 1980 : lorsque Canon de Yaoundé et Congo forgeaient une rivalité fraternelle
L’époque dorée du football centre-africain voit alors s’affronter, puis s’embrasser, clubs et sélections des deux rives. Le Canon sportif de Yaoundé, avec Kundé en sentinelle, rencontre Vita Club et CARA dans des joutes continentales qui attirent les diplomates autant que les recruteurs. Le défenseur camerounais incarne cette rivalité sans hostilité : il serre la main de l’adversaire avant le coup d’envoi, discute avec les officiels congolais après le match et, selon un journaliste de Radio Congo, « ne sort jamais sans féliciter le public ». Ce savoir-être contribue à l’image d’un football comme passerelle diplomatique à une période où les chefs d’État privilégient le soft power sportif pour nourrir le dialogue sous-régional.
Charisme et discipline : un leadership qui inspire les académies congolaises
La trajectoire d’Emmanuel Kundé se singularise par un mélange rare d’autorité et de discrétion. Capitaine lors de deux campagnes victorieuses de la Coupe d’Afrique des nations, il promeut une vision collective qui séduit les techniciens congolais. À Pointe-Noire, l’académie Mvou-Mvou a, dès 1990, instauré un module « Kundé » où l’on enseigne la relance courte et le marquage de zone. Plusieurs internationaux congolais d’aujourd’hui évoquent son modèle de « discipline sans esbroufe ». Cette influence, bien que tacite, rejoint la stratégie nationale de promotion de la jeunesse sportive soutenue par les autorités de Brazzaville, soucieuses d’offrir des référents positifs à l’élan démographique.
La diplomatie du ballon rond au service de la coopération Yaoundé-Brazzaville
Au fil des décennies, les passages de Kundé au Congo ont nourri un imaginaire de fraternité sportive que les chancelleries s’emploient à raviver. Le Comité bilatéral Cameroun-Congo sur la culture et la jeunesse, relancé en 2023, a d’ailleurs cité le footballeur comme « symbole opérant d’intégration ». À l’heure où la Zone de libre-échange continentale africaine ambitionne de fluidifier les mobilités, la mise en récit de ces héros partagés renforce les convergences politiques. La présidence congolaise, dans un communiqué, a souligné « l’impérieuse nécessité de valoriser ces patrimoines vivants pour consolider la paix ». Ainsi, l’hommage rendu à Kundé dépasse la mélancolie et s’inscrit dans une stratégie d’influence où le sport devient levier de cohésion régionale.
Un legs immortel pour l’Afrique du football et au-delà
S’éteindre à 68 ans n’efface ni les 102 sélections, ni la finale épique d’Abidjan en 1984, ni les applaudissements du Stade Massamba-Débat. Le nom d’Emmanuel Kundé demeure désormais gravé sur les stèles de la Confédération africaine de football et dans les consciences de milliers de jeunes qui chaussent chaque matin des crampons dans les ruelles de Brazzaville, Douala ou Kinshasa. Son itinéraire rappelle que le sport africanise la diplomatie, dilue les frontières et installe, le temps d’un tacle ou d’une accolade, l’idée que le continent parle un langage universel. En ce sens, le dernier coup de sifflet ne referme pas la partie ; il ouvre un supplément d’âme que l’Afrique, reconnaissante, continuera d’habiter.