Des promesses sur l’acier : calendrier et financement encore flous
Devant un auditoire d’industriels réunis à Luanda, le ministre zambien des Transports Frank Tayali a fixé l’horizon : « Nous voulons poser le premier rail avant le troisième trimestre 2026. » À ce stade, les 530 km séparant Chingola de Luacano ne sont encore qu’une ligne sur une carte, mais les négociations financières conduites par l’Africa Finance Corporation avanceraient « à grands pas ». L’optimisme officiel s’appuie sur une conjonction rare de capitaux publics et privés, africains et occidentaux. Or, derrière la rhétorique, ni le schéma de répartition des risques ni le montage des garanties souveraines n’ont encore reçu d’aval parlementaire à Lusaka ou à Luanda. Les bailleurs exigent des clauses de concession précises, tandis que les deux gouvernements, échaudés par les déboires d’anciennes PPP, veulent préserver leur marge de manœuvre budgétaire.
La lutte pour l’alternative logistique en Afrique australe
En rupture avec le monopole séculaire des ports sud-africains, le corridor de Lobito ambitionne de remodeler l’architecture logistique de l’Afrique centrale et australe. Pour la Zambie, enclavée comme un étau entre ses voisins, l’accès direct à l’Atlantique réduirait les délais d’exportation de cuivre de près de deux semaines et baisserait de 40 % le coût moyen du fret, selon les estimations de la Banque mondiale. Du côté angolais, la réhabilitation de la ligne Benguela – jadis épine dorsale de l’économie coloniale – s’inscrit dans une stratégie plus vaste de diversification post-pétrole. L’enjeu dépasse cependant la dimension purement économique : il s’agit de redessiner les corridors de puissance dans une région longtemps dominée par le binôme Johannesburg–Durban.
Washington et Bruxelles à la manœuvre : diplomatie des infrastructures
Le concours actif des États-Unis et de l’Union européenne traduit le retour de la diplomatie des grands chantiers face à une Chine longtemps hégémonique sur le continent. Annoncé en marge du G7 de 2023, le soutien occidental au rail de Lobito est présenté comme un « partenariat de qualité et de transparence ». L’envoyé spécial américain Amos Hochstein insiste sur un modèle « sans piège de la dette », tandis que Bruxelles s’aligne via son programme Global Gateway. Pour autant, les engagements chiffrés restent modestes : 250 millions de dollars de garanties potentielles pour Washington, 70 millions d’euros d’assistance technique côté européen. Les diplomates africains s’interrogent déjà sur la pérennité politique de ces promesses, à l’heure où les cycles électoraux occidentaux demeurent imprévisibles.
Luanda face à la tyrannie du baril
À Luanda, le ministre d’État José Massano poursuit un exercice d’équilibriste. Le budget 2024 a été calibré sur un Brent supérieur à 70 dollars, seuil désormais menacé par la détente géopolitique au Proche-Orient et par l’augmentation des quotas OPEP+. « Nous pourrions ajuster une ou deux clauses pour rassurer les investisseurs », reconnaît-il, tout en espérant débloquer d’ici décembre les 500 millions de dollars de la Banque mondiale. Si les cours reculent vers 65 dollars en 2025, les marges de manœuvre fiscales angolaises fondront. Luanda n’exclut donc pas un retour préventif sous l’aile du FMI, « si la consolidation budgétaire l’exige ». Cette éventualité nourrit dans les chancelleries la crainte d’un ralentissement des déboursements sur Lobito.
Zambie : la malédiction de l’enclavement et l’espoir ferroviaire
Depuis son défaut partiel de 2020, la Zambie a entamé un exercice de restructuration de dette inédit en Afrique sub-saharienne. Le gouvernement de Hakainde Hichilema compte sur le corridor pour soutenir la production de cuivre, attendue à 3 millions de tonnes en 2030. À Lusaka, certains hauts fonctionnaires confient néanmoins craindre un « effet Lusitania », à savoir un surgonflement des attentes qui décourage les réformes de fond dans l’administration douanière et la gestion des recettes minières. De fait, sans modernisation concomitante des terminaux angolais et de la réglementation frontalière, la nouvelle voie pourrait se transformer en goulot d’étranglement de plus. L’enjeu, avertit un diplomate de la SADC, est de « faire du rail un catalyseur de gouvernance, pas un alibi pour différer les chantiers institutionnels ».
Vers un nouveau multilatéralisme du rail ?
Le corridor de Lobito sert aujourd’hui de banc d’essai à une gouvernance des infrastructures qui associe capital privé, institutions multilatérales et garanties politiques occidentales. Si le modèle venait à aboutir, il offrirait une alternative à la « diplomatie de la dette » souvent imputée à Pékin. À l’inverse, un échec retentissant renforcerait les discours souverainistes qui gagnent du terrain au sein de la Communauté de développement d’Afrique australe. Les prochains mois seront donc scrutés à Washington, Bruxelles et Johannesburg, mais aussi à Beijing, où l’on suit de près la capacité occidentale à convertir ses annonces en livraisons concrètes. Pour l’heure, entre barils volatils et wagons virtuels, le corridor de Lobito s’avance sur une voie étroite, tributaire de décisions politiques qui, plus que le fer ou le cuivre, décideront de sa solidité.