Un contrat phare au cœur de la stratégie Vision 2030
En septembre 2018, la signature du contrat d’achat d’électricité entre Eneo, l’opérateur public-privé camerounais, et Nachtigal Hydro Power Company, entité largement portée par Électricité de France, avait été saluée comme l’une des pierres angulaires de la politique d’émergence fixée par la Vision 2030 du gouvernement. L’ouvrage de 420 MW, construit sur la Sanaga, ambitionne de fournir à terme près d’un tiers de la demande nationale. Au-delà du gain purement capacitaire, l’exécutif de Yaoundé mettait en avant la diminution du recours aux centrales thermiques et, partant, la réduction des subventions au fuel lourd. Entretemps, la donne macroéconomique s’est complexifiée : ralentissement post-pandémie, besoins sociaux croissants et pressions sur la dette extérieure remettent la soutenabilité des engagements à l’ordre du jour.
Le prisme prudentiel du Fonds monétaire international
Rendue publique à l’issue de la septième revue du programme appuyé par la Facilité élargie de crédit, l’analyse du FMI consacre plusieurs pages au contrat Nachtigal. Les experts de Washington estiment que la tarification d’achat — indexée partiellement sur la dépréciation du franc CFA et sur l’inflation importée — pourrait, en cas de chocs exogènes, accroître de 0,5 point de PIB les transferts quasi budgétaires d’Eneo. Ils recommandent une publication exhaustive des annexes financières et encouragent la création d’un cadre de plafonnement des garanties souveraines octroyées aux producteurs indépendants. « La robustesse des finances publiques est indissociable de la clarté des obligations contingentes », insiste un membre de la mission, cité dans le rapport.
L’argumentaire des autorités camerounaises et d’EDF
Yaoundé, pour sa part, rappelle que le coût moyen projeté de l’électricité livrée par Nachtigal reste inférieur aux 120 FCFA le kilowatt-heure observés sur les unités thermiques au mazout, même après prise en compte de la clause d’ajustement. « La perspective d’un mix dominé à 75 % par l’hydroélectricité en 2027 justifie un effort transitoire », souligne le ministre de l’Eau et de l’Énergie. EDF, actionnaire principal de NHPC, avance que la mobilisation de 1,2 milliard d’euros de capitaux privés — dont 30 % en provenance de la Banque mondiale et de la BAD — minimise le recours à l’endettement souverain, tout en transférant les risques de construction aux investisseurs. Le groupe rappelle également que les appels d’offres ont reçu l’aval de la Commission de la concurrence de la Cemac.
Régionalisation des flux énergétiques et dynamique Cemac
Au-delà du cas camerounais, Nachtigal s’inscrit dans la vision d’intégration énergétique de l’Afrique centrale, où les lignes interconnectées vers le Tchad, la République centrafricaine et, à terme, le Congo-Brazzaville, pourraient transformer le fleuve Sanaga en pivot d’un marché régional de l’électricité. Le FMI reconnaît d’ailleurs que le projet consolide l’offre exportable, susceptible de générer de précieux devises. Néanmoins, l’institution avertit que tout retard d’achèvement des interconnexions pourrait réduire la demande solvable et, de facto, accroître le coût unitaire pour les consommateurs domestiques. L’enjeu est donc double : finaliser simultanément les infrastructures de transport et sécuriser des accords d’achat transfrontaliers robustes.
Pour une gouvernance contractuelle renforcée et inclusive
Les discussions de juin 2025 ont abouti à un compromis : un audit indépendant du contrat sera conduit par un cabinet agrée par les deux parties, tandis qu’un tableau de bord semestriel sur les risques budgétaires liés aux partenariats public-privé sera publié sur le site du ministère des Finances. Les bailleurs saluent des avancées qui, sans remettre en cause la légitimité du partenariat avec EDF, entérinent une culture de redevabilité alignée sur les standards internationaux. Aux yeux de plusieurs diplomates africains présents à Yaoundé, cette séquence illustre l’équilibre délicat auquel doivent parvenir les États en quête d’énergie fiable : attirer des investisseurs de premier plan tout en préservant leur marge de manœuvre budgétaire. À l’heure où la transition verte devient pivot des négociations multilatérales, le dossier Nachtigal pourrait servir de laboratoire de référence pour la sous-région.