Un accord scellé sur les bords du Potomac, écho d’un quart de siècle de tensions
En conviant les chefs des diplomaties congolaise et rwandaise à parapher, sous le regard d’un secrétaire d’État américain soucieux de laisser son empreinte, un texte décrit comme « historique », l’administration Trump a voulu démontrer que sa doctrine d’empreinte minimale pouvait aussi produire des résultats concrets. Le cessez-le-feu négocié prévoit la cessation immédiate des hostilités dans l’est de la République démocratique du Congo, l’intégration encadrée des groupes armés ainsi qu’un mécanisme de vérification tripartite associant Washington, Doha et l’Union africaine. S’il ne résout pas toutes les questions pendantes, notamment celles liées aux exactions passées, il fixe un cadre nouveau où la diplomatie supplante provisoirement la logique des armes.
Brazzaville, sentinelle expérimentée de la médiation africaine
Le Congo-Brazzaville, qui partage plus de 1200 kilomètres de frontières fluviales et forestières avec la RDC, accueille depuis trois décennies nombre de réfugiés fuyant les soubresauts des Kivus. Fort de cette proximité humaine et historique, le président Denis Sassou Nguesso s’est fait, dès l’annonce de la rencontre de Washington, le relais d’un discours conciliateur. À Oyo, lors du récent Forum sur la paix et la sécurité en Afrique centrale, il a salué « une opportunité de tourner la page de la méfiance et de construire un destin commun fondé sur l’interdépendance économique ». Cette posture s’inscrit dans la lignée de la médiation qu’il avait conduite, en 2007, entre les rebelles tchadiens et N’Djamena, soulignant sa constance dans la recherche de compromis africains soutenus par des partenaires extérieurs.
Sécurité transfrontalière : des attentes pragmatiques
Sur le terrain, la signature américaine suscite des attentes immédiates. À Brazzaville, la Commission nationale de défense et le Centre d’analyse et de prospective stratégique ont identifié trois chantiers jugés prioritaires : la réduction des flux d’armes légères transitant par la cuvette congolaise, la coopération policière pour endiguer les trafics sur le fleuve Congo, et l’échange en temps réel de renseignements relatifs aux mouvements résiduels du M23 ou des Forces démocratiques de libération du Rwanda. « Il n’y aura pas de paix durable sans un dispositif de sécurité partagé et crédible », confie un officier supérieur de la Force publique, rappelant que les incidents localisés à la frontière ont chuté de près de 18 % depuis la relance des pourparlers, selon les chiffres de la CIRGL.
Richesses souterraines et arbitrage des intérêts miniers
L’un des volets les plus commentés du texte concerne la facilitation de l’accès des compagnies américaines au cobalt et au coltan de la RDC. Washington défend une lecture sécuritaire : formaliser les circuits d’exportation, c’est priver les groupes rebelles de leur principale manne. À Brazzaville, cette évolution est observée avec circonspection mais sans hostilité, tant la diversification des débouchés régionaux pourrait dynamiser les corridors logistiques qui convergent vers le port de Pointe-Noire. La Zone économique spéciale de Maloukou, dont l’extension a été actée en février, se prépare ainsi à accueillir des ateliers de première transformation des minerais, étape susceptible de créer un millier d’emplois qualifiés, selon l’Agence congolaise pour la promotion des investissements.
Multilatéralisme africain et diplomatie du réalisme
La félicitation adressée par le président Sassou Nguesso à ses homologues Félix Tshisekedi et Paul Kagame, relayée par la présidence congolaise, souligne une convergence rare : l’Afrique centrale entend se réapproprier la narration de sa sécurité collective. Plusieurs chancelleries saluent la tenue prochaine, à Brazzaville, d’un segment ministériel de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs consacré à la mise en œuvre de l’accord. « Notre objectif est de créer un écosystème de confiance, adossé à des mécanismes africains et renforcé par nos partenaires », insiste le ministre congolais des Affaires étrangères Jean-Claude Gakosso. Les bailleurs, Banque africaine de développement en tête, voient dans cette séquence une fenêtre pour accélérer les projets d’infrastructures transfrontalières, tandis que l’Union européenne envisage un appui financier destiné à soutenir le démantèlement volontaire des groupes armés.
Perspectives : l’accalmie comme matrice de nouvelles coopérations
À Washington, certains observateurs soupèsent déjà la capacité réelle de l’accord à survivre aux dynamiques électorales à Kinshasa comme à Kigali. Du côté de Brazzaville, on affiche un optimisme prudent mais résolu. Le chef de l’État a instruit le gouvernement d’actualiser la stratégie nationale de sécurité, afin d’y intégrer les paramètres issus du cessez-le-feu et de prévoir un volet humanitaire renforcé en faveur des déplacés qui souhaiteraient regagner leurs provinces d’origine. En parallèle, la diplomatie congolaise prépare une initiative visant à inscrire, à l’agenda de l’Union africaine 2025, une charte régionale pour la gestion durable des minerais stratégiques. Autant d’indicateurs qui laissent penser que l’accord de Washington, au-delà de l’effet d’annonce, pourrait bien marquer le début d’une normalisation progressive, ouvrant la voie à cette paix « durable parce que profitable à tous » que Denis Sassou Nguesso appelle de ses vœux.