La genèse diplomatique du rapprochement
Le communiqué conjoint publié à Kinshasa et à Kigali, confirmé par le Département d’État, annonce la signature imminente d’un accord de paix sous médiation américaine. Washington, qui hébergera la cérémonie, revendique le fruit de six mois d’allers-retours discrets conduits par l’envoyé spécial pour les Grands Lacs, Michael Hammer. À la table des négociations, la présidence congolaise a fait valoir l’urgence d’un cessez-le-feu durable dans le Nord-Kivu, où les affrontements avec les groupes armés, dont le M23, ont déplacé plus d’un million de civils selon l’ONU. Le gouvernement rwandais, pour sa part, a insisté sur « la nécessité d’une sécurité partagée le long de la frontière », selon un conseiller de la présidence rwandaise.
Si l’initiative porte la marque diplomatique de Washington, elle a aussi bénéficié du soutien silencieux de plusieurs capitales africaines, au premier rang desquelles Brazzaville, qui héberge régulièrement des pourparlers informels entre belligérants régionaux. Le ministre congolais des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, souligne que « le parrainage américain ne se substitue pas aux mécanismes régionaux, il les renforce ». Cette articulation entre leadership global et facilitation africaine nourrit l’argument d’une appropriation continentale du processus.
Les impératifs sécuritaires et humanitaires
Sur le terrain, l’urgence est palpable. Les forces armées de la RDC, appuyées par la MONUSCO et par la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est, peinent à contenir la fragmentation d’une quarantaine de milices. Le dispositif prévu par l’accord fait écho à la feuille de route de Luanda : retrait graduel des éléments du M23 vers des zones de cantonnement vérifiées, création de couloirs humanitaires, puis déploiement d’une force conjointe d’observation impliquant officiers congolais et rwandais.
Ce schéma n’abolit pas les méfiances. Cependant, il répond aux préconisations du Haut-Commissariat aux Réfugiés, qui appelle à sécuriser les centres miniers afin de prévenir le travail forcé et d’éviter le financement des groupes armés par la contrebande d’or et de coltan. Une source onusienne souligne que « le rôle actif de Kigali dans la surveillance des sites miniers constitue une concession significative, même si elle devra être encadrée par des garanties robustes ». L’angle humanitaire devient ainsi un levier de consensus, tout en servant d’interface avec les intérêts économiques.
Notons que Brazzaville, traditionnel médiateur discret, voit dans l’amélioration sécuritaire à l’est du Congo-Kinshasa une condition sine qua non à la fluidité des corridors commerciaux traversant le bassin du Congo, dont dépend également la stabilité macroéconomique de la sous-région.
Les enjeux stratégiques des minerais critiques
L’accord prévoit la mise en place d’un mécanisme de traçabilité des chaînes d’approvisionnement, inspiré de l’Initiative for Responsible Mining Assurance. Les entreprises américaines pourront, sous réserve du respect de critères environnementaux et sociaux vérifiés par une commission tripartite, accéder à des permis d’exploitation de gisements de lithium, de cobalt et de terres rares dans les provinces du Sud-Kivu et du Tanganyika. « La transition énergétique mondiale se joue en partie dans le sous-sol congolais », résume un analyste de la Banque africaine de développement.
Washington affiche un double objectif. D’une part, sécuriser un approvisionnement stratégique face à la concurrence chinoise, déjà très présente via des joint-ventures sino-congolaises. D’autre part, corriger l’image d’un acteur extérieur intéressé uniquement par la rente minière : le Département d’État insiste sur un volet de 300 millions de dollars consacré à la réhabilitation des routes et à la formation d’ingénieurs congolais. Kigali, de son côté, mise sur les retombées logistiques : le port sec de Rubavu devrait traiter une part croissante des minerais exportés, renforçant le rôle du Rwanda comme hub de transit légal.
Un laboratoire de multilatéralisme africain
La signature à Washington pourrait préfigurer une gouvernance sécuritaire et économique rénovée dans les Grands Lacs. L’Union africaine a salué une « avancée susceptible d’inspirer d’autres théâtres de crise sur le continent ». Le format retenu combine la médiation bilatérale sous parrainage de la première puissance mondiale à un monitoring régional confié à la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs. Cette hybridation traduit l’idée, portée notamment par le président congolais Félix Tshisekedi, d’un multilatéralisme à géométrie variable, où les organisations africaines conservent l’initiative politique tout en mobilisant des ressources globales.
La prudence reste de mise. Les précédentes tentatives de désarmement – de l’Accord de Lusaka en 1999 à celui d’Addis-Abeba en 2013 – rappellent l’extrême résilience des causes profondes du conflit : compétition foncière, tensions identitaires, et gestion imparfaite des recettes minières. Toutefois, les diplomates s’accordent à reconnaître que le contexte macroéconomique, marqué par l’appétit mondial pour les minerais verts, crée aujourd’hui un alignement d’intérêts inédit. En filigrane, Brazzaville et d’autres capitales de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale guettent les signaux d’une stabilisation durable, porteuse d’investissements transfrontaliers essentiels à la diversification de leurs propres économies.
Au-delà de l’image d’une diplomatie des ressources, l’accord DRC-Rwanda pourrait ainsi servir de banc d’essai à une architecture de sécurité collective africaine renforcée par des partenariats extérieurs, sans pour autant marginaliser les souverainetés nationales. L’équation reste délicate, mais rares sont les observateurs qui, aujourd’hui, sous-estiment la portée symbolique d’un serment de paix scellé au cœur même de la capitale fédérale américaine.