Une transition managée dans la durée
À l’issue d’un long cycle de croissance conduit par Marc Albérola, le Conseil d’administration d’Eranove a acté, pour le 16 juillet prochain, la nomination d’Ahmadou Bakayoko au poste de directeur général. Le passage de témoin s’inscrit dans une cadence méthodiquement orchestrée ; en interne, la succession est décrite comme « un continuum stratégique plutôt qu’un coup de barre ». Les performances de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) et de la Société de distribution d’eau de Côte d’Ivoire (SODECI), pilotées depuis 2019 par M. Bakayoko, ont en effet doublé leur portefeuille clientèle, un indicateur clé qui a rassuré les actionnaires sur sa capacité à porter le groupe vers une phase d’expansion géographique supplémentaire.
Le profil d’un stratège polytechnicien
Formé à l’École polytechnique et à Télécom Paris, passé par la Silicon Valley, le consulting et l’audiovisuel, Ahmadou Bakayoko présente un curriculum qui marie ingénierie, finance et management interculturel. Sa trajectoire traduit la recherche d’un leadership capable de dialoguer simultanément avec bailleurs de fonds, autorités publiques et communautés locales. Dans les couloirs du siège d’Abidjan, certains cadres soulignent que son expérience de la Radiotélévision Ivoirienne lui a donné « un sens aigu de la communication de crise », compétence jugée précieuse là où l’accès à l’eau et à l’électricité est souvent chargé d’enjeux socio-politiques.
Les implications régionales pour l’accès à l’énergie
Eranove opère déjà en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Togo et au Bénin et développe des projets au Mali, à Madagascar, au Gabon et en République démocratique du Congo. Au-delà de ce périmètre, des sources proches du dossier indiquent que le groupe sonde également les opportunités offertes par le Plan national de développement 2022-2026 de la République du Congo, un programme soutenu par le président Denis Sassou Nguesso pour moderniser les infrastructures. Un consultant régional note que « l’arrivée de Bakayoko pourrait accélérer la conclusion de protocoles d’entente dans les segments de la mini-hydroélectricité et des réseaux intelligents, essentiels pour la résilience énergétique post-COVID ».
Partenariats public-privé et diplomatie économique
La nouvelle gouvernance réaffirme l’ADN du groupe : combiner capitaux privés et concessions d’État. À la faveur de la montée des critères ESG dans la finance internationale, Eranove entend négocier des financements mixtes intégrant obligations vertes, garanties souveraines et facilités multilatérales. Dans un entretien récent, Marc Albérola rappelait que « l’alignement des agendas nationaux et de la rentabilité est devenu une opération diplomatique à part entière ». La nomination de M. Bakayoko, réputé proche des cercles décisionnels d’Abidjan et de Dakar, offre un atout pour faire converger priorités climatiques et exigence de rendement, tout en respectant les cadres réglementaires locaux.
Vers une consolidation de la gouvernance panafricaine
Sur le plan interne, un processus de sélection est ouvert pour désigner les nouveaux dirigeants de la CIE et de la SODECI, signe qu’Eranove cherche à formaliser une chaîne de commandement claire afin d’éviter l’hyper-concentration des pouvoirs. Selon un proche du Conseil, l’objectif est de « renforcer la collégialité du pilotage » et de s’aligner sur les meilleures pratiques de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Dans un environnement où la raréfaction de l’eau et la demande en électricité progressent de plus de 6 % par an, la stabilité managériale devient un argument de négociation avec les bailleurs. C’est également un signal positif pour les gouvernements du Golfe de Guinée, soucieux de disposer d’un opérateur fiable pour soutenir leurs ambitions d’industrialisation sans mettre en péril les équilibres budgétaires. De ce point de vue, la continuité stratégique assurée par Bakayoko, loin d’être un simple changement de nom sur une porte, représente un atout diplomatique pour les capitales qui cherchent, à l’image de Brazzaville, à conjuguer sécurité énergétique et soutenabilité financière.
Cap vers un nouveau cycle de croissance inclusive
En dressant le portrait d’un groupe résolu à mutualiser ses expertises au service de l’agenda 2030 des Nations unies, le départ de Marc Albérola apparaît presque comme un passage de relais générationnel. L’enjeu pour Ahmadou Bakayoko sera de conserver l’élan tout en poussant plus loin l’intégration régionale. De l’électrification rurale en Casamance aux projets d’interconnexion entre Pointe-Noire et Kinshasa, les prochaines décisions stratégiques façonneront la cartographie énergétique de l’Afrique centrale et occidentale pour la décennie à venir.
Pour l’heure, les chancelleries observent avec bienveillance ce ballet managérial. Loin de menacer l’équilibre politique du continent, il constitue plutôt un laboratoire de la nouvelle gouvernance corporative africaine : enracinée localement, ouverte aux capitaux globaux et attentive aux attentes citoyennes. Dans ce contexte, la nomination d’Ahmadou Bakayoko ressemble moins à une rupture qu’à une respiration ; elle offre à Eranove, et plus largement aux États partenaires, une occasion inédite de consolider la diplomatie des infrastructures sans renoncer à l’exigence de performance économique.
