Un décaissement à Kinshasa, une onde de choc maîtrisée sur le fleuve Congo
Le 12 décembre, le Conseil d’administration du Fonds monétaire international a approuvé la première revue du programme triennal de la République démocratique du Congo, ouvrant la voie à un décaissement immédiat de 266,7 millions USD au titre de la Facilité élargie de crédit. Cet appui, présenté par la directrice générale adjointe Antoinette Sayeh comme « un signal de confiance envers les réformes congolaises », pourrait paraître anodin vues les dimensions continentales de la RDC. Pourtant, sur l’autre rive du fleuve, les autorités de la République du Congo suivent scrupuleusement la manœuvre, conscientes des ramifications macroéconomiques et financières qu’un tel afflux de devises peut induire pour l’ensemble de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).
Brazzaville cultive la discipline budgétaire
Depuis la signature en 2019 de son propre programme avec le FMI, le Congo-Brazzaville a ancré une politique de consolidation budgétaire saluée par les partenaires techniques et financiers. Le ministère des Finances rappelle que le déficit primaire non pétrolier a été réduit de 7,4 % du PIB en 2018 à moins de 2 % en 2022, grâce à une combinaison de rationalisation de la dépense publique et de mobilisation accrue des recettes hors pétrole. Cette trajectoire, jugée « exemplaire pour la zone » par un diplomate européen en poste à Libreville, confère à Brazzaville une crédibilité qui contribue à maintenir le spread de sa dette souveraine à un niveau contenu.
Convergence CEMAC : le mandat implicite de Sassou Nguesso
Le président Denis Sassou Nguesso, doyen des chefs d’État de la sous-région, a fait de la stabilité monétaire un ressort majeur de son action diplomatique. Dans les coulisses du sommet extraordinaire de la CEMAC tenu à Yaoundé en mars dernier, il a rappelé l’importance d’une coordination accrue des politiques budgétaires afin de préserver la parité fixe du franc CFA, déclarant que « la confiance des marchés vaut parfois davantage que le baril de Brent ». Aux yeux des bailleurs, cette constance constitue un linéament rassurant alors que plusieurs pays voisins, y compris la RDC, expérimentent encore les tensions inflationnistes post-pandémiques.
Risques de débordement inflationniste : scénario surveillé
Le versement massif de devises à Kinshasa pourrait a priori exercer une pression haussière sur la demande intérieure congolaise et, par ricochet, sur les importations régionales. Or, les flux commerciaux informels entre les deux rives du fleuve dépassent, selon la Banque africaine de développement, 400 millions USD par an. Les techniciens de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) notent qu’une accélération de la liquidité en dollars dans la capitale voisine se répercute parfois sur les cours des denrées importées à Pointe-Noire. Brazzaville a donc renforcé son dispositif de veille via un comité inter-ministériel chargé de publier un bulletin de suivi hebdomadaire des prix stratégiques, une initiative inédite dans la zone.
Opportunités de co-investissement transfrontalier
L’arrivée de nouveaux financements à la RDC ouvre aussi des perspectives de synergies économiques. Plusieurs banques commerciales congolaises, à capitaux mixtes, envisagent de déployer des lignes de crédit dédiées aux entreprises opérant de part et d’autre du fleuve, notamment dans la logistique fluviale et les agro-industries. « Le renforcement de la solvabilité d’entreprises kinois peut entraîner un effet d’entraînement positif sur nos filiales à Brazzaville », confie le directeur général adjoint d’un établissement panafricain présent dans les deux capitales les plus proches du monde. Dans un communiqué, l’Agence congolaise pour la promotion des investissements se dit prête à encadrer ces flux afin d’éviter toute remontée de risques systémiques.
La voie prudente d’une diplomatie économique proactive
Si l’appui du FMI à Kinshasa traduit la dynamique réformatrice en cours en RDC, Brazzaville n’entend pas s’inscrire dans une logique d’attentisme. En témoigne la feuille de route 2024-2026 adoptée en conseil des ministres, qui priorise la diversification des recettes fiscales et la modernisation de la gouvernance extractive, tout en conservant une dette publique à moins de 60 % du PIB. À Washington, un fonctionnaire du Trésor américain souligne que « la gestion prévoyante des autorités congolaises crée un environnement propice aux flux d’investissements privés ». L’équilibre est subtil : tirer parti des potentialités d’un voisin doté d’une manne financière nouvelle, sans fragiliser le régime de discipline macroéconomique laborieusement reconstruit depuis cinq ans.
Perspectives et responsabilités partagées
Dans la longue histoire des relations économiques entre les deux Congo, chaque ballon d’oxygène accordé à l’un influe, par ricochet, sur l’autre. L’épisode du décaissement de 266 millions USD à la RDC vient rappeler qu’aucune politique de stabilité n’est durable sans coopération régionale. Le Congo-Brazzaville, en préservant jalousement ses équilibres, démontre qu’une diplomatie économique de proximité, ancrée dans la sobriété budgétaire, peut répondre aux attentes des partenaires internationaux et aux impératifs de développement national. Parier sur la convergence plutôt que sur la concurrence : tel est, aujourd’hui, le choix assumé par Brazzaville.