Une échéance symbolique pour la FANAF et le marché africain
Le cinquantenaire d’une organisation constitue toujours un moment charnière. Pour la Fédération des sociétés d’assurances de droit national africaines, créée en 1976 à Yamoussoukro, l’Assemblée générale de février 2026 à Abidjan revêt une densité particulière : elle marquera non seulement la célébration d’un demi-siècle d’intégration professionnelle, mais aussi la désignation du septième président de l’histoire de la Fédération. Dans un contexte où l’Afrique subsaharienne doit renforcer la résilience de ses économies face aux chocs climatiques et géopolitiques, la FANAF demeure l’un des rares forums capables de fédérer près de deux cents assureurs et réassureurs issus d’une trentaine de juridictions ayant en partage l’héritage du Code CIMA. Son secrétariat général rappelle que le secteur, évalué à 8 % du PIB régional en 2023, ambitionne de franchir la barre symbolique des 10 % d’ici à 2030, à la faveur d’un taux de pénétration encore modeste comparé aux standards internationaux.
Le bilan de Cesar Ekomie Afene et les attentes des sociétaires
Arrivé aux commandes en 2020, le Gabonais Cesar Ekomie Afene laissera derrière lui un palmarès que même ses contradicteurs saluent. On lui doit la mise en place du fonds de stabilisation contre les événements climatiques extrêmes, la digitalisation du régime de la carte brune d’assurance automobile inter-États et, surtout, l’amorce d’une politique prudente mais assumée de convergence vers la norme comptable IFRS 17. « Il aura su maintenir l’équilibre entre orthodoxie financière et inclusion assurantielle », confie un régulateur ouest-africain requis pour avis. Les sociétaires attendent désormais de son successeur qu’il ancre ces acquis tout en accélérant la transformation numérique et la couverture des risques agricoles, cruciale dans un contexte d’insécurité alimentaire persistante.
Duel au sommet : portraits croisés des prétendants
Deux candidatures se détachent nettement, signe d’une cristallisation précoce des rapports de force. Le premier prétendant, l’Ivoirien Moussa Bamba, dirige la plus ancienne compagnie du pays et préside l’Association des assureurs de Côte d’Ivoire depuis 2021. Son argumentaire s’appuie sur la stabilité macroéconomique ivoirienne, qui a permis au secteur local de croître de 11 % l’an dernier, ainsi que sur une stratégie régionale d’expansion en Afrique de l’Ouest. « La FANAF doit épouser la dynamique AfCFTA et s’ouvrir davantage aux partenariats public-privé », martèle-t-il dans les colonnes de la presse spécialisée (Jeune Afrique, 15 mai 2024).
Face à lui, la Congolaise Élise Ngatsé-Oba incarne la continuité d’une école francophone attentive aux équilibres réglementaires. Directrice générale adjointe d’une multinationale panafricaine présente dans dix-neuf pays, la candidate est réputée pour sa fine connaissance des normes prudentielles et pour son engagement en faveur des couvertures inclusives. Sa proximité institutionnelle avec Brazzaville, siège du Secrétariat général de la CIMA, lui confère un avantage logistique non négligeable, même si son entourage insiste davantage sur « sa capacité à bâtir des consensus entre zones anglophones et francophones ». Les ambassadeurs accrédités auprès de la FANAF mesurent avec précaution l’équilibre de cette joute, rappelant que la présidence est traditionnellement attribuée selon une logique de rotation sous-régionale tacite.
Enjeux macroéconomiques et régulation prudentielle
Quel que soit le vainqueur, la feuille de route 2026-2030 apparaît déjà lourde. Le durcissement des exigences de solvabilité sous le régime CIMA révisé, calqué sur les standards de Bâle III, obligera les assureurs à renforcer leur capital réglementaire à hauteur de 45 % en moyenne. Selon un rapport conjoint FANAF-Banque africaine de développement, près d’un tiers des acteurs devront envisager des opérations de fusion-acquisition pour respecter ces nouveaux garde-fous. À cette contrainte s’ajoute l’impératif d’adaptation à IFRS 17, dont l’entrée en vigueur effective dans l’espace FANAF reste annoncée pour 2027. Les petits acteurs, qui peinent à financer les outils de reporting, sollicitent un fonds d’assistance technique que le futur président devra calibrer sans compromettre l’équilibre budgétaire de la Fédération.
Diplomatie économique et arbitrages continentaux
Au-delà de la technicité des dossiers, la bataille pour la présidence illustre la diplomatie économique à l’œuvre sur le continent. Abidjan, hub financier ouest-africain, dispose d’une influence certaine auprès des banques multilatérales, tandis que Brazzaville, fort de ses relais au sein de la CEEAC, plaide pour une représentation plus équilibrée des zones économiques. L’Union africaine observe attentivement ces tractations, consciente que la FANAF peut se muer en courroie de transmission pour des projets tels que le mécanisme panafricain de catastrophe-risque. Un diplomate européen en poste à Addis-Abeba confie « qu’une présidence consensuelle serait perçue comme un signal de maturité institutionnelle, à même de rassurer les investisseurs étrangers ».
Les partenaires techniques – Organisation internationale des régulateurs d’assurance, Banque mondiale ou encore African Risk Capacity – multiplient d’ores et déjà les consultations discrètes avec les deux candidats. Leur intérêt porte sur la capacité du futur président à accélérer l’introduction d’outils de couverture indicielle et à soutenir la verdisation des bilans, alors que la transition énergétique devient un critère non négociable d’accès aux financements concessionnels.
Impact probable pour les assurés et crédibilité du secteur
La compétition ne saurait être réduite à une querelle d’appareils. L’enjeu ultime concerne les 420 millions d’Africains encore dépourvus de toute couverture d’assurance. Les débats programmés lors du Sommet d’Abidjan aborderont la bancassurance, l’essor de la micro-assurance mobile et la couverture des risques climatiques agricoles, thèmes sur lesquels les deux candidats affichent des nuances. M. Bamba mise sur des partenariats avec les fintechs régionales, tandis que Mme Ngatsé-Oba défend la création d’un pool multi-pays dédié aux calamités agricoles financé par des obligations vertes.
Le vote de février 2026 dévoilera la ligne stratégique retenue, mais l’un comme l’autre s’engagent à préserver la cohésion de la Fédération et à poursuivre le dialogue constructif avec les régulateurs, dans l’esprit d’ouverture qui caractérise la gouvernance africaine contemporaine. À l’heure où l’Afrique projette d’augmenter sa contribution au PIB mondial à 5 % d’ici à 2035, la solidité du marché de l’assurance constitue un pilier incontournable. En quittant la tribune d’Abidjan, le nouveau président FANAF devra porter la voix d’un continent décidé à conjuguer croissance inclusive et discipline financière, gage d’attractivité pour les capitaux internationaux.