Brazzaville, capitale culturelle d’Afrique
D’un geste solennel, le chef de l’État congolais Denis Sassou Nguesso a donné, le 19 juillet, le signal d’ouverture du Festival panafricain de musique. L’instant, sobre mais hautement symbolique, consacre Brazzaville comme épicentre d’une scène artistique que l’histoire coloniale puis les indépendances ont longtemps dispersée entre rives du fleuve Congo et airs atlantiques. Vingt-huit ans après sa création, le Fespam confirme sa résilience et son ambition : fédérer musiciens, chercheurs et décideurs autour de la diversité sonore du continent, tout en projetant une image d’unité et de paix que la diplomatie congolaise cultive avec constance.
La jeunesse au cœur du renouveau musical
Placée sous la bannière « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique », cette 12ᵉ édition met résolument la jeunesse en avant. « Nous avons voulu qu’une génération ultracréative s’empare de cet espace symbolique », a expliqué la ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des loisirs, Marie-France Lydie Hélène Pongault, décrivant un Fespam pensé comme « une école à ciel ouvert de la résilience culturelle ». L’argument est de taille : selon l’Union africaine, plus de 60 % de la population du continent a moins de 25 ans, un dividende démographique que le Congo mise à transformer en vivier d’innovations artistiques.
Un festival, levier de diplomatie culturelle
La présence de délégations venues de quatorze États, de la République démocratique du Congo au Venezuela, illustre la vocation transcontinentale d’un festival conçu dès 1995 comme laboratoire diplomatique. Le commissaire général Hugues Gervais Ondaye ne s’en cache pas : « Fespam est la vitrine d’une Afrique qui converse avec le monde par la musique, langue universelle s’il en est ». Dans un contexte international marqué par une compétition accrue des influences, Brazzaville s’appuie sur l’événement pour consolider sa stature d’interlocuteur culturel privilégié, cohérente avec son statut de « Ville créative de musique » reconnu par l’UNESCO depuis 2013.
Économie créative et transformation numérique
Le choix du thème n’est pas fortuit : selon la Banque africaine de développement, l’économie créative pèse déjà près de 4 % du PIB continental. L’adoption massive des plateformes de streaming, la montée en puissance des studios indépendants et l’essor des fintechs dédiées aux royalties redéfinissent les chaînes de valeur. Le symposium académique prévu en marge des concerts s’attardera notamment sur la protection des droits d’auteur à l’ère de la blockchain et sur les nouveaux modèles de monétisation pour les artistes émergents. Pour le gouvernement congolais, qui a inscrit la culture au rang de secteur prioritaire dans son Plan national de développement 2022-2026, il s’agit de convertir le capital immatériel en emplois qualifiés, en recettes fiscales et en influence.
Un soft power made in Congo
Au-delà des chiffres, le Fespam projette un imaginaire collectif où la rumba congolaise, récemment entrée au patrimoine immatériel de l’UNESCO, côtoie les mélodies mandingues, le gospel sud-africain ou le reggaeton caribéen. Ce maillage sonore nourrit un soft power que Brazzaville entend cultiver avec finesse. Les analystes soulignent que la diplomatie musicale permet d’aborder, par des canaux non conventionnels, des dossiers aussi sensibles que la libre circulation des artistes, la lutte contre le trafic d’œuvres ou la coopération sécuritaire dans les zones frontalières. En soutenant une narration positive, le Congo s’emploie à conforter la stabilité régionale, un objectif régulièrement rappelé par le président Sassou Nguesso lors des sommets de l’Union africaine.
Perspectives régionales et internationales
Durant une semaine, les scènes éphémères du Palais des congrès, de Mayanga ou du complexe de Kintélé feront résonner une centaine de formations. Au-delà du spectacle, le Fespam entend structurer un écosystème où producteurs, mécènes et jeunes pousses numériques se rencontrent. Les partenariats signés avec des institutions telles que l’Organisation internationale de la francophonie ou la Communauté économique des États de l’Afrique centrale témoignent de cette volonté de passer du festival-événement au festival-plateforme. En filigrane, Brazzaville rêve d’un effet d’entraînement comparable à celui du cinéma nigérian pour l’Afrique anglophone, en capitalisant sur un héritage musical déjà mondialisé.
Un rendez-vous qui dépasse la scène
À l’heure où les mégapoles africaines cherchent un récit fédérateur, l’édition 2023 du Fespam apparaît comme un laboratoire de convergence : convergence des générations, des disciplines, des politiques publiques et des investissements privés. En déclarant « Que la fête commence et qu’elle soit belle », Denis Sassou Nguesso n’a pas simplement lancé une célébration artistique ; il a activé un instrument stratégique au service de la cohésion nationale, de la modernisation économique et du rayonnement continental. Si Brazzaville parvient à soutenir cette dynamique au-delà de la semaine festive, le Fespam pourrait bien devenir une référence pérenne de la diplomatie culturelle africaine.