Brazzaville finalise une ouverture chorégraphique d’envergure
À quelques encablures du lever de rideau, l’atmosphère est à la fois électrique et concentrée au Centre culturel Sony Labou Tansi. Sous la houlette du chorégraphe franco-congolais Gervais Tomadiatounga, une centaine de danseurs et musiciens enchaînent les filages pour garantir, le 19 juillet au Palais des Congrès, un prélude digne des grandes scènes internationales. Les claquements de talons résonnent aux côtés des percussions traditionnelles, tandis que les cuivres esquissent déjà l’allégresse festive dans laquelle Brazzaville s’apprête à plonger.
La direction artistique a fait le pari d’une création où les rythmes kongo, téké ou mbochi s’entrelacent aux influences mandingues et swahilies. Cette mosaïque sonore, conçue comme un voyage à travers le continent, ambitionne de rappeler que le Fespam n’est pas seulement une vitrine nationale mais une agora culturelle qui se veut fédératrice. Les répétitions se déroulent toutefois dans un cadre matériel parfois spartiate ; la ventilation capricieuse des studios et l’absence de défraiements complets n’entament pourtant pas la détermination des artistes, décidés à livrer un spectacle à la hauteur des attentes.
Un engagement gouvernemental assumé malgré les contraintes
Le 12 juillet, la ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs, Marie-France Hélène Lydie Pongault, est venue saluer le travail des équipes. Sa présence, très commentée dans les milieux culturels, a valeur de signal politique : l’État reste le premier soutien financier et moral de l’événement. « Ce que j’ai vu se fait avec passion, par amour de l’art », a-t-elle déclaré au terme d’une répétition complète, soulignant l’importance de « préserver le patrimoine commun que représente le Fespam ».
Consciente des discussions relatives aux équations budgétaires, la ministre a rappelé que tout festival d’envergure internationale se heurte à des aléas financiers, mais que le gouvernement maintient la programmation prévue. Les propos du commissaire général du Fespam, Gervais Hugues Ondaye, vont dans le même sens : « Les contraintes existent, mais elles stimulent notre créativité ». Cette ligne de communication, ferme sans être triomphaliste, vise à rassurer aussi bien les délégations étrangères que les investisseurs privés encore hésitants.
La diplomatie culturelle congolaise sous les projecteurs
Depuis sa création en 1996, le Fespam s’est imposé comme un outil de soft power, permettant à Brazzaville d’occuper une place éminente dans le concert africain. La 12ᵉ édition s’annonce, de l’avis d’observateurs à Addis-Abeba et à Paris, comme un moment charnière pour la diplomatie culturelle congolaise. Les autorités entendent tirer profit de la présence attendue d’une trentaine de délégations officielles pour faire avancer des dossiers de coopération bilatérale dans les domaines créatifs et numériques.
Le thème retenu, « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique », traduit ce passage d’une tradition d’échanges artistiques vers un modèle où la culture devient également vecteur d’innovation technologique et de croissance. Des tables rondes dédiées aux droits d’auteur dématérialisés ou à la monétisation des plateformes de streaming africaines sont programmées, avec la participation d’experts de l’Union africaine et de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
Quand la formation rencontre l’ambition artistique
Au-delà du seul spectacle inaugural, l’édition 2024 met un accent particulier sur la formation des jeunes talents. Des master-class animées par des musiciens de la diaspora congolaise — certains basés à Montréal, Bruxelles ou Johannesburg — doivent transmettre des savoir-faire liés à la production scénique et à la gestion de carrière à l’international. « Normalement, les gens payent pour se former. Ici, l’État a payé pour que vous soyez formés », a rappelé la ministre Pongault, soulignant le caractère d’investissement public dans le capital humain.
Cette stratégie répond à l’un des constats partagés par les acteurs du secteur : nombre de carrières prometteuses s’essoufflent faute de connaissances juridiques ou managériales. En associant apprentissage et exposition médiatique, le Fespam espère créer un effet de levier durable sur l’écosystème musical national, tout en améliorant la visibilité régionale des artistes.
Trente ans d’héritage et des perspectives renouvelées
Marquer un trentième anniversaire n’a rien de purement symbolique ; c’est l’occasion d’un bilan lucide. Depuis 1996, le festival a survécu aux fluctuations économiques, aux crises sanitaires et aux recompositions politiques du continent. Cet ancrage a forgé une identité propre qui attire, édition après édition, un public composite mêlant mélomanes, chercheurs et diplomates. Les organisateurs misent sur cette réputation pour positionner Brazzaville en carrefour régional des industries créatives.
Du 19 au 26 juillet, la capitale congolaise accueillera concerts, expositions, conférences et cérémonies officielles. Plusieurs villes de province se voient également associées par retransmissions géantes, signe d’une volonté de décentralisation culturelle. Dans un contexte où beaucoup de capitales africaines se disputent la manne événementielle, le Fespam joue la carte d’un héritage solide et d’une ligne éditoriale tournée vers l’avenir numérique.
Vers une inauguration à haute valeur symbolique
Le rideau s’ouvrira dans la grande salle du Palais des Congrès, bâtiment emblématique de la diplomatie congolaise. La scène, réaménagée pour l’occasion, associera mapping vidéo et scénographie inspirée des masques kongo. L’orchestre national, renforcé par des artistes invités d’Éthiopie et du Cameroun, entonnera un medley qui promet de passer des mélodies de l’équateur aux harmonies du Nil bleu.
Au-delà du spectacle, le premier soir scellera une promesse : celle d’un Congo qui, sous la conduite des autorités, entend conjuguer expression artistique, rayonnement diplomatique et développement économique. Si les défis logistiques subsistent, l’effervescence qui traverse les coulisses laisse présager une célébration à la mesure des ambitions affichées. À Brazzaville, la musique est déjà en marche ; elle s’apprête à résonner bien au-delà des bords du fleuve Congo.