Un lever de rideau à haute teneur symbolique
Dans une salle du Palais des congrès où se mêlaient écharpes protocolaires et tenues de scène flamboyantes, le président Denis Sassou Nguesso a ponctué son allocution inaugurale d’une formule à la fois simple et solennelle : « Que la fête soit belle ». Derrière cette exhortation, c’est un dispositif diplomatique minutieux qui s’est déployé : corps constitués, représentants de missions étrangères et mandataires d’organisations internationales se sont joints à un public d’artistes congolais et étrangers pour assister à la renaissance musicale d’un continent en quête d’affirmation. L’ovation qui a suivi la déclaration présidentielle a rappelé combien la culture demeure un pilier de cohésion, particulièrement dans un contexte régional marqué par une quête de stabilité.
Le spectacle d’ouverture, baptisé « Année de la jeunesse », a métamorphosé la scène en un kaléidoscope de rythmes et de couleurs. Près de deux cents interprètes ont fait résonner percussions traditionnelles et flows slam, symboles d’une Afrique qui conjugue héritage et contemporanéité. Aux côtés de Mariusca Moukengue et Black Panther, les chorégraphies de Gervais Tomadiatounga ont rappelé le rôle de la création artistique comme instrument de récit national. Brazzaville s’est ainsi placée, l’espace d’une soirée, au cœur d’une diplomatie émotionnelle qui sait mobiliser l’imaginaire collectif tout en projetant une image d’unité.
Brazzaville, carrefour de la diplomatie culturelle
Depuis 1996, le Fespam s’est imposé comme l’un des rares forums culturels africains à bénéficier d’un appui constant d’institutions multilatérales telles que l’UNESCO et l’Union africaine. L’édition 2025 ne déroge pas à la règle : messages de soutien de la directrice générale de l’UNESCO, présence de diplomates accrédités et d’experts en politiques culturelles composent un paysage où la musique devient vecteur d’influence. Cette dimension s’inscrit dans la doctrine congolaise de rayonnement extérieur, visant à consolider une image d’État pivot capable de faciliter les convergences régionales autour d’un agenda pacifique.
Les retombées attendues ne se limitent pas au prestige. La fréquentation accrue de délégations étrangères engendre un flux d’investissements et de coopérations bilatérales que les autorités entendent canaliser vers les secteurs créatifs. Dans les couloirs du Palais, plusieurs attachés culturels n’ont pas caché leur intérêt pour des résidences d’artistes et des programmes de cocréation, estimant que la diplomatie culturelle constitue une passerelle pragmatique vers la diplomatie économique.
L’économie numérique au cœur des partitions africaines
Le thème « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique » épouse les mutations d’un secteur dont le chiffre d’affaires tiré du streaming a bondi de 20 % sur le continent en 2023 (IFPI, 2024). Le commissaire général Hugues Gervais Ondaye a souligné la dualité d’une révolution à la fois créatrice de valeur et génératrice de vulnérabilités, notamment en matière de protection intellectuelle. À Brazzaville, les panels universitaires se succèdent pour proposer des cadres normatifs capables d’harmoniser fiscalité, droits d’auteur et instruments de financement adaptés aux réalités africaines.
Au-delà de la théorie, un marché de la musique africaine est pour la première fois organisé en marge du festival. Plateformes de distribution numérique, start-up congolaises spécialisées dans les paiements mobiles et sociétés de gestion collective y négocient des protocoles d’accord. Le Congo y voit l’opportunité d’ériger Brazzaville en hub régional des industries culturelles, rejoignant l’objectif gouvernemental de diversification économique inscrit dans la stratégie « Congo numérique 2025 ».
La jeunesse congolaise, vecteur d’avenir
L’appel présidentiel à « donner toute sa place à la jeunesse » résonne particulièrement dans un pays où plus de 60 % de la population a moins de trente-cinq ans (INS, 2023). Le pari est double : prévenir l’exode des talents et transformer l’élan créatif en débouchés professionnels. En réponse, le ministère de l’Industrie culturelle a développé un programme d’incubation qui, dès cette édition, met en contact de jeunes beatmakers, danseurs et développeurs d’applications musicales.
Le chorégraphe Gervais Tomadiatounga, témoin direct de ces promesses, confie que la scène congolaise « porte désormais une ambition collective qui dépasse la performance artistique pour embrasser la citoyenneté économique ». À la faveur du Fespam, les jeunes créateurs congolais bénéficient d’une vitrine internationale leur permettant de se mesurer aux standards mondiaux tout en puisant dans la richesse des langues et instruments locaux.
Vers un soft power régional assumé
En consacrant huit jours à la musique, aux débats académiques et aux rencontres d’affaires, le Fespam 2025 dépasse le simple cadre d’un événement festif. Il s’affirme comme un outil de projection stratégique, au service d’un Congo désireux de consolider son rôle d’intercesseur sur la scène africaine. La ministre Marie-France Lydie Pongault évoque d’ailleurs « un laboratoire où se tisse la diplomatie de demain, fondée sur la créativité, le dialogue et la résilience ».
L’avenir dira dans quelle mesure les recommandations issues du symposium trouveront une traduction législative et économique. Pour l’heure, la 12ᵉ édition rappelle qu’un État peut renforcer son influence sans renoncer à la célébration populaire. Dans le tumulte des tambours et des pas de danse, Brazzaville esquisse ainsi une partition géopolitique où la clef de sol flirte avec la raison d’État, laissant présager de nouvelles harmonies diplomatiques sur la portée africaine.