Une cérémonie inaugurale à forte charge symbolique
Au Palais des Congrès de Brazzaville, la chaleur de juillet n’a pas atténué l’enthousiasme des délégations venues de quatorze États africains pour lancer le douzième Festival panafricain de musique. Dans une salle aux lampes tamisées, le président de la République, Denis Sassou Nguesso, a levé le rideau d’une voix claire : « Je déclare ouverte la 12ᵉ édition du Fespam. Que la fête soit belle ». La phrase, brève mais solennelle, a suscité une ovation où le protocole diplomatique s’est mêlé à la ferveur populaire.
Cette nouvelle édition, modeste par le nombre de pays participants mais dense par ses ambitions, survient après une séquence internationale marquée par la fragilité des chaînes d’approvisionnement culturelles et par la nécessité, exprimée par l’Union africaine, de consolider les lieux de dialogue régionaux. Les tribunes du Palais, occupées par des ambassadeurs, des représentants d’organisations multilatérales et des acteurs culturels, ont donné à l’événement une dimension qui dépasse la simple scène musicale : il s’agit d’un instrument de soft power, finement calibré par Brazzaville pour conforter son rôle de médiateur culturel au cœur du continent.
Musique et économie numérique : entre aspirations et réalités
Le thème choisi, « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique », reflète la mutation rapide d’un secteur désormais porté par les plateformes de streaming et par la dématérialisation des droits. Dans son allocution, la ministre de la Culture, Lydie Pongault, a rappelé que « la culture demeure un levier de croissance et de cohésion ; elle permet à nos jeunesses de croire en un avenir que la conjoncture économique met parfois à l’épreuve ». Ses mots traduisent la volonté gouvernementale d’inscrire l’action culturelle dans une stratégie macroéconomique, où diversification et innovation numérique convergent.
Les observateurs notent que, malgré la contraction post-pandémique des dépenses publiques, Brazzaville a choisi de maintenir cet événement, fût-ce sous un « format réduit ». Le commissaire général, Hugues Ondaye, reconnaît une participation moindre que lors des éditions précédentes, mais souligne la portée expérimentale des nouvelles scènes hybrides, pensées pour la diffusion en ligne. Entre ateliers sur la blockchain appliquée à la propriété intellectuelle et masterclasses avec des producteurs de la diaspora, le Fespam s’essaye à faire de la musique un catalyseur d’industrialisation culturelle. La démarche s’aligne sur les recommandations de l’UNESCO concernant la transition numérique des industries créatives africaines, consolidant ainsi la cohérence de la politique culturelle congolaise avec les agendas internationaux.
Brazzaville, carrefour du soft power africain
Au-delà de la partition musicale, c’est un récit géopolitique que compose chaque édition du Fespam. La capitale congolaise, autrefois surnommée « Panthéon des Indépendances » pour son rôle lors des conférences des années 1960, renoue avec son héritage de plaque tournante diplomatique. L’affluence d’artistes venus aussi bien d’Abuja que d’Antananarivo, conjuguée à la présence de diplomates de premier rang, consolide l’image d’un Congo-Brazzaville soucieux de développer une influence douce et inclusive.
Le festival fonctionne dès lors comme une plate-forme d’intermédiation symbolique : il crée un espace où la compétition économique, souvent ardue entre États africains, se mue en coopération créative. Des accords bilatéraux relatifs à l’échange de programmes de formation musicale ont été esquissés en marge des concerts, tandis que plusieurs ambassades ont profité de la tribune pour annoncer la prochaine mise en place de résidences croisées. De manière subtile, le gouvernement congolais capitalise sur cette dynamique pour renforcer son image de facilitateur de dialogue régional, position déjà saluée lors des récents forums sur la protection des forêts du bassin du Congo.
Vers une stratégie pérenne pour l’écosystème musical africain
À l’heure où les projecteurs se rallument chaque soir sur les scènes brazzavilloises, plusieurs défis demeurent. La sécurisation des droits d’auteur, la professionnalisation des filières techniques et l’accès à la connectivité haut débit restent au cœur des échanges. Toutefois, les acteurs réunis au Fespam s’accordent à dire que l’initiative congolaise ouvre un corridor stratégique vers une structuration continentale du secteur. Dans un entretien accordé aux médias, un conseiller régional de la Banque africaine de développement a estimé que « la musique africaine a besoin de hubs ; Brazzaville répond à ce besoin en alignant vision culturelle et stabilité politique ».
En définitive, la douzième édition prouve que, même dans un contexte budgétaire contraint, la diplomatie culturelle peut produire des retombées tangibles : rayonnement national, opportunités économiques pour les jeunes créateurs et inscription du Congo dans les circuits de l’innovation numérique. À mesure que s’élèvent les dernières notes de la soirée d’ouverture, l’observateur averti mesure combien la fête, voulue « belle » par le chef de l’État, dépasse le simple divertissement. Elle trace les contours d’une stratégie de long terme où la musique devient vecteur d’intégration, de dialogue et de croissance partagée sur le continent.