Un festival brazzavillois centré sur la création au féminin
À Brazzaville, le festival Mwassi, présenté comme la vitrine des « films d’Afrique ô féminin », a réuni en août réalisatrices, actrices et cinéphiles autour d’une question centrale : comment reformuler la place des femmes à chaque étape de la production et de la diffusion cinématographiques ?
Né il y a huit ans, l’événement revendique une double ambition : mettre le projecteur sur les créatrices africaines et ouvrir des passerelles professionnelles, en phase avec l’évolution rapide des industries culturelles sur le continent et l’intérêt croissant des plateformes internationales.
Soutien institutionnel et message onusien
La session du 27 août, accueillie dans la salle de conférence du Programme des Nations unies pour le développement, a bénéficié de la présence de diplomates, de représentants du système onusien et de créateurs venus du Congo, du Gabon et de la République démocratique du Congo.
Dans son allocution d’ouverture, Henry-René Diouf, représentant adjoint du Pnud-Congo, a salué le festival comme « une contribution capitale » à la mise en œuvre de la stratégie nationale de promotion du genre, rappelant que l’égalité constitue un axe prioritaire de l’Agenda 2030.
Obstacles structurels révélés par les témoignages
Autour de la table, les réalisatrices Razzia Lelahel, Divana Cate et Aude May, la comédienne gabonaise Adriella Lou et l’écrivain-critique Emeraude Kouka ont croisé leurs trajectoires, dessinant un paysage où la quête de financement demeure la première marche trop souvent manquée.
Plusieurs intervenantes ont évoqué la difficulté d’accéder aux guichets de soutien locaux ou internationaux, un terrain parfois réputé poreux aux réseaux d’influence. L’absence de garanties bancaires ou de coproducteurs puissants ferme souvent la porte aux projets portés par des talents émergents.
Les actrices ont, de leur côté, décrit des situations de favoritisme ou de prédation sexuelle, encore rarement dénoncées publiquement. « On ne peut pas briser les rêves des jeunes femmes qui aspirent à devenir artistes », a rappelé Adriella Lou, invitant à renforcer les dispositifs de signalement.
Le regard critique sur les représentations
Interpellé sur l’idée d’une écriture spécifiquement féminine, Emeraude Kouka a préféré déplacer le débat : « L’art est universel ; la question est de permettre à chacune et à chacun de créer dans des conditions équitables. » Sa réflexion a soulevé un consensus prudent.
Pour autant, plusieurs cinéastes ont souligné que les scénarios véhiculent encore, par défaut, des archétypes masculins. La visibilité de personnages féminins multidimensionnels reste marginale, même dans les productions indépendantes. Le public, ont-elles noté, attend de nouveaux récits capables de refléter la complexité sociale contemporaine.
Aude May et Divana Cate ont défendu l’idée d’un leadership assumé des autrices, depuis la salle d’écriture jusqu’au montage, afin d’éviter que la vision initiale ne soit altérée par des filtres extérieurs. Elles y voient une condition pour que l’écran devienne un espace de réparation symbolique.
Cinéma, pouvoir symbolique et responsabilité
Les débats ont glissé vers la dimension politique du septième art. Parce qu’il façonne l’imaginaire collectif, le film peut déconstruire des stéréotypes ou, inversement, les incruster. Cette responsabilité, ont rappelé les panelistes, concerne autant les réalisateurs que les diffuseurs et les décideurs publics.
Au Congo-Brazzaville, la stratégie nationale de développement culturel, adoptée ces dernières années, mentionne l’enjeu d’une représentativité accrue des femmes. Les intervenants ont salué cette orientation, estimant qu’elle crée un cadre favorable pour aligner les initiatives privées, les fonds internationaux et l’action gouvernementale.
Pour Henry-René Diouf, la coopération multilatérale peut amplifier ce mouvement si les créatrices accèdent en confiance aux programmes de formation et d’incubation déjà existants. Il a cité l’exemple des bourses offertes conjointement par l’UNESCO et l’Union africaine, peu connues du grand public.
Vers un écosystème cinématographique inclusif
Pierre Man’s, directrice du festival, a clôturé la session en soulignant que la circulation des idées doit s’accompagner de mesures concrètes : codes de conduite contre le harcèlement, quotas paritaires dans les commissions de sélection et éducation à l’image dès le secondaire.
Elle a rappelé que Mwassi prolongera ces échanges par des ateliers d’écriture et des masterclasses en partenariat avec l’Institut français du Congo. L’objectif est de transformer la parole collective en expertises partagées, capables d’inspirer les futures politiques publiques en matière d’industries créatives.
Les prochaines journées du festival proposeront une sélection de courts et longs métrages réalisés par des femmes originaires de douze pays, preuve d’un dynamisme en pleine expansion. Publics et professionnels pourront y mesurer, en salle, les effets concrets des recommandations formulées lors du panel.
Les organisateurs espèrent que cette dynamique s’exportera hors des frontières, grâce notamment aux coproductions régionales soutenues par la Banque de développement des États de l’Afrique centrale, dont plusieurs programmes ciblent déjà l’audiovisuel et encouragent la participation féminine aux instances de gouvernance.