Une saison stratégique pour le soft power culturel du Sud
Si l’on observe la carte des grands rassemblements artistiques de l’été 2025, un constat s’impose : la Méditerranée et le continent africain ne se cantonnent plus à l’off-Broadway de la culture mondiale, ils occupent la scène principale. De l’amphithéâtre de Carthage aux gratte-ciel de Montréal, dix festivals structurent un arc symbolique où pratiques patrimoniales, expérimentations sonores et diplomatie culturelle se rejoignent. Selon l’UNESCO, près de la moitié des évènements labellisés « d’importance internationale » de la période juillet-août se dérouleront cette année au Sud. Une dynamique qui confirme la montée en puissance d’un soft power africain et arabe, moins fondé sur la revendication que sur l’hospitalité créative.
Agadir fait vibrer l’amazighité mondiale
Créé en 2004, Timitar déroule, du 2 au 5 juillet, une programmation qui marie le poème chleuh, l’afro-house et le jazz nomade. À Agadir, ville reconstruite après le séisme de 1960, le festival devient métaphore de résilience ; il connecte les musiques amazighes aux pulsations subsahariennes dans une logique de diplomatie par la culture. Aux ateliers d’écriture tifinagh répond cette année un dialogue entre artistes sahéliens et marocains, manière de rappeler que la coopération culturelle peut desserrer les tensions identitaires régionales.
Launac magnifie vingt ans de rythmes subsahariens
Dans la campagne occitane, Wassa’n Africa réunit, du 4 au 6 juillet, griots, DJ et artisans autour d’un principe de gratuité totale. Deux décennies d’existence ont ancré l’évènement dans la diplomatie décentralisée française : la municipalité, les associations de migrants et les institutions culturelles bâtissent ici un espace d’échanges Nord-Sud à échelle humaine. Ateliers de balafon, débats sur le vivre-ensemble et marché d’art coopèrent pour transformer un parc municipal en forum panafricain.
Montréal scande la pluralité diasporique
Du 8 au 20 juillet, les Nuits d’Afrique célèbrent trente-neuf ans d’un projet né de la volonté sénégalo-québécoise de rendre audibles les héritages afro-descendants. La ville métisse sa réputation d’innovation urbaine avec une diplomatie d’inclusion : plus de 700 artistes, 100 concerts, six scènes. Le concours Les Syli d’Or prolonge l’initiative en offrant aux talents émergents une rampe d’accès aux marchés professionnels nord-américains.
Carthage, Baalbeck et Hammamet : la triangulation patrimoniale
Dans les théâtres antiques de Tunisie et du Liban, la saison 2025 souligne la capacité des sites classés à devenir des plateformes d’influence contemporaine. Carthage (17 juillet-21 août) mise sur un répertoire allant du raï fusion aux créations théâtrales saheliennes, affirmant la transversalité maghrébine. À Hammamet (8 juillet-12 août), la mer sert d’écrin à une édition consacrée, entre autres, à la pensée d’Albert Memmi et au retour d’Emel Mathlouthi ; preuve que la Tunisie continue d’offrir un refuge à la parole critique malgré un contexte budgétaire contraint. Quant à Baalbeck (25 juillet-8 août), le choix d’ouvrir avec Carmen, doublée pour répondre à la demande populaire, témoigne d’une société libanaise qui oppose la permanence esthétique à l’instabilité géopolitique.
Kigali, Durban et Cape Coast : la mémoire comme moteur d’avenir
Le Giants of Africa Festival (26 juillet-2 août) illustre l’extension de la diplomatie sportive africaine. Sous l’impulsion de Masai Ujiri, Kigali transforme le basketball en incubateur de leadership continental, associant bootcamps, conférences et concerts. À Durban (17-27 juillet), le Durban International Film Festival poursuit son rôle d’agorathèque cinématographique, laboratoire où se négocient coproductions sud-sud et récits décoloniaux. Enfin, PANAFEST (24 juillet-3 août) renoue à Cape Coast avec l’histoire de la traite négrière : cérémonies de libation, panels sur les industries créatives et « Naming Ceremony » pour la diaspora font dialoguer devoir de mémoire et souveraineté narrative.
Jerash, épilogue levantin sous les étoiles jordaniennes
Du 23 juillet au 2 août, la cité romaine de Jérash offre ses colonnades aux voix arabes contemporaines. L’édition 2025, soutenue par la Cour royale jordanienne, conjugue dabkeh revisité, slam, marionnettes syriennes et récitals soufis. En rendant l’évènement accessible aux réfugiés par une billetterie solidaire et des sous-titres multilingues, Amman confirme sa stratégie de médiation culturelle régionale.
Un écosystème diplomatique en mutation
Ces dix festivals, en dépit de leurs identités locales, partagent trois constantes : la gratuité partielle qui démocratise l’accès, la transversalité disciplinaire qui décloisonne les publics, et l’empreinte mémorielle qui inscrit le futur dans un récit assumé. Pour les chancelleries attentives, ils constituent autant de points d’entrée vers des sociétés civiles actives, souvent plus réceptives au dialogue culturel qu’au langage institutionnel. Investir ce terrain n’est plus une option, c’est une nécessité stratégique, car l’été 2025 démontre qu’au Sud la scène est aussi un parlement.