La disparition de l’USAID : lecture diplomatique
Soixante-trois ans après sa création au cœur de la Guerre froide, l’Agence des États-Unis pour le développement international a cessé d’exister le 1ᵉʳ juillet, absorbée par le département d’État à la faveur d’un décret présidentiel. Au-delà du symbole, cette décision traduit une inflexion stratégique de Washington vers une diplomatie de puissance plus assumée, où l’aide publique est ramenée à la colonne « intérêts nationaux ». Les chancelleries africaines, qui recevaient près de 40 % du portefeuille global de l’agence, se retrouvent face à un interlocuteur unique mais dont les priorités sont désormais calibrées selon une logique sécuritaire et commerciale (Council on Foreign Relations, 2024).
Si l’administration américaine vante une « rationalisation » et promet des procédures allégées, nombre d’experts redoutent un recul des programmes centrés sur la santé communautaire, l’adaptation climatique ou l’autonomisation des femmes. Une étude publiée par The Lancet évoque, à l’horizon 2030, jusqu’à quatorze millions de décès évitables si les financements ne trouvaient pas de relais. La fermeture d’USAID intervient par ailleurs dans un contexte où d’autres bailleurs, de Pékin à Riyad, rivalisent d’initiatives pour étendre leur empreinte sur le continent.
Pour les capitales africaines, la reconfiguration ouvre donc une période d’incertitude mais aussi d’opportunités géopolitiques. Le discours prononcé à Luanda par le président angolais João Lourenço insistant sur le « partenariat d’ambition » illustre la volonté régionale de sortir d’une dépendance purement assistance-centrée pour embrasser des logiques de co-investissement. Dans ce concert, la République du Congo entend faire valoir une diplomatie proactive, s’appuyant sur la stabilité institutionnelle et le capital politique de son chef de l’État, Denis Sassou Nguesso.
Les répercussions immédiates pour l’Afrique centrale
En 2024, USAID avait mobilisé plus de 6,5 milliards de dollars en Afrique, dont près de 480 millions orientés vers l’Afrique centrale. Le retrait brusque de cette manne pose la question de la continuité des chaînes d’approvisionnement en antipaludiques, de la poursuite des programmes de nutrition infantile ou encore du financement des centres de dépistage du VIH. La Banque africaine de développement estime qu’un écart de financement de 15 % sur ces postes pourrait réapparaître dans les budgets nationaux dès 2025 si aucune mesure compensatoire n’est adoptée.
Pour Brazzaville, les campagnes de pulvérisation d’insecticides, menées depuis 2017 dans les zones inondables du Pool, avaient permis une réduction de 38 % des cas de paludisme chez les enfants de moins de cinq ans. La fermeture d’USAID ne remet pas en cause ces acquis, mais elle oblige le ministère congolais de la Santé à renégocier, dans des délais serrés, des accords de continuité avec le Fonds mondial et l’Organisation mondiale de la santé. Selon un haut fonctionnaire congolais, « la question n’est pas de combler un trou, mais de réallouer efficacement des ressources existantes tout en mobilisant de nouveaux acteurs privés ».
Le Congo-Brazzaville face au nouveau paradigme de la coopération
Sous l’impulsion de son président, le Congo s’est déjà engagé dans une diversification de ses partenariats, passant d’un schéma d’assistance traditionnelle à des mécanismes hybrides associant prêts concessionnels, investissements directs et transferts de technologie. Le Plan national de développement 2022-2026 intègre ainsi des objectifs de financement climatique adossés à la valorisation du Bassin du Congo, poumon forestier mondial. Cette vision, présentée lors du One Forest Summit à Libreville, séduit plusieurs fonds verts européens prêts à se substituer partiellement aux ex-programmes d’USAID axés sur la résilience écologique.
Sur le volet éducatif, l’université Denis Sassou Nguesso de Kintélé poursuit un partenariat tripartite avec la Fondation Mastercard et l’Agence française de développement pour consolider les filières STEM, cruciales pour l’industrialisation naissante. La méthodologie repose sur une approche gagnant-gagnant : bourses locales, mentorat international, contrats de recherche appliquée à l’économie bleue du littoral congolais. L’absence d’USAID dans ce montage n’a pas freiné la dynamique, preuve qu’une architecture de coopération polycentrique est désormais possible.
Vers des partenariats public-privé renforcés
L’un des effets les plus commentés de la fermeture d’USAID réside dans la montée en puissance attendue du capital privé. Le groupe pétrolier national congolais, en consortium avec une major asiatique, a déjà annoncé la création d’un fonds de responsabilité sociétale dédié aux infrastructures sanitaires rurales. Parallèlement, la start-up congolaise GreenAgriLabs a signé un accord avec une plateforme d’investissement de Dubaï pour déployer des serres hydroponiques à énergie solaire dans le Kouilou, un projet initialement conçu pour bénéficier d’un financement pilote de l’agence américaine.
Cette orientation s’inscrit dans un cadre juridique mis à jour en 2023, par lequel Brazzaville offre des incitations fiscales aux projets à haute valeur environnementale ou sociale. Selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, le Congo engrange la plus forte progression relative d’IDE verts en Afrique centrale, preuve d’une certaine résilience face aux soubresauts de l’aide traditionnelle.
Perspectives régionales et opportunités
Si la page USAID se tourne, elle ne laisse pas un vide mais un champ de recomposition où s’entremêlent puissances émergentes, organismes multilatéraux et acteurs de la finance durable. L’Agence de coopération internationale turque, la JICA japonaise ou encore la KfW allemande manifestent un intérêt renouvelé pour la région du Golfe de Guinée, consciente des enjeux stratégiques liés aux corridors de transport et aux minéraux critiques.
Dans ce contexte, le Congo-Brazzaville dispose d’atouts appréciables : un dialogue politique régulier avec ses partenaires, une stabilité macro-économique consolidée par l’accord conclu avec le FMI en 2022 et une diplomatie environnementale crédible. En privilégiant la complémentarité plutôt que la substitution, Brazzaville revendique une approche pragmatique, saluée par plusieurs observateurs comme « un exemple de gestion ordonnée de la transition post-aide » (Brookings, 2024).
À moyen terme, le retrait d’USAID pourrait donc agir comme catalyseur d’une redéfinition des rapports Afrique-États-Unis, non plus placés sous le sceau de la dépendance mais de la coprospérité. Pour le Congo, il s’agit moins d’affronter une rupture que de transformer une contrainte en levier, en témoigne la feuille de route gouvernementale qui mise sur l’intégration régionale et la transformation locale des ressources. En filigrane, la trajectoire congolaise rappelle qu’un État africain peut maîtriser son destin international sans renoncer à la solidarité, mais en la réinventant.