Un tour de table structuré par la Rand Merchant Bank
Wave Mobile Money, fondée en 2018 et déjà considérée comme la première licorne francophone d’Afrique, vient d’annoncer un financement de 117 millions d’euros. L’opération, architecturée par la Rand Merchant Bank en collaboration avec British International Investment, Finnfund et Norfund, s’inscrit dans un schéma mêlant dette senior et instruments de quasi-fonds propres. L’intervention d’institutions de financement du développement confère un label de confiance à l’entreprise, tout en soulignant la place croissante des capitaux à impact dans les marchés émergents.
Selon Sibusiso Tashe, co-responsable du département Leveraged Finance chez RMB, « cette syndication illustre la capacité d’un acteur africain à mobiliser une enveloppe conséquente pour un projet de transformation économique ». De fait, la présence d’investisseurs publics européens et nordiques démontre l’alignement des agendas de développement avec les impératifs de rentabilité, un signal de maturité pour l’écosystème continental.
La promesse d’une finance inclusive à grande échelle
La finalité affichée par Wave reste inchangée : réduire drastiquement les coûts d’accès aux services financiers formels. Coura Sène, directrice régionale, rappelle que près de la moitié de la population adulte d’Afrique subsaharienne demeure non bancarisée. « Notre ambition est de bâtir une infrastructure apte à servir les segments longtemps ignorés », affirme-t-elle. L’entreprise propose un modèle d’agents de proximité couplé à une interface mobile simplifiée, permettant l’ouverture de compte et les transactions en quelques secondes, même sur téléphones de première génération.
Drew Durbin, co-fondateur et CEO, insiste pour sa part sur la dimension sociale du projet : « Rendre le transfert d’argent aussi courant que l’envoi d’un message est la condition d’un développement inclusif ». En pratique, l’injection de liquidités nouvelles renforcera la trésorerie, soutiendra l’innovation produit (micro-épargne, micro-assurance) et améliorera la résilience technologique de la plateforme.
Une empreinte continentale qui s’étend du Sahel au Golfe de Guinée
Présente dans huit pays, principalement en Afrique de l’Ouest, Wave revendique plus de 20 millions d’utilisateurs actifs mensuels et un maillage de 150 000 agents. La récente approbation de la Commission bancaire d’Afrique centrale pour son implantation au Cameroun ouvre la voie à une pénétration graduelle de la zone CEMAC. À terme, cette expansion pourrait irriguer les places financières de Brazzaville et de Libreville, dans un contexte où les autorités congolaises se félicitent du renforcement de la concurrence dans le mobile money, vecteur de modernisation du tissu économique national.
La stratégie d’expansion préfère la concertation au cavalier seul. Wave négocie systématiquement avec les régulateurs, les banques centrales et les opérateurs télécoms locaux afin d’assurer une interopérabilité technique et juridique. Cette approche graduelle, souvent citée en exemple par les bailleurs, permet de contenir les risques systémiques et de diffuser les innovations auprès d’un plus large spectre d’acteurs.
Enjeux macroéconomiques et diplomatiques d’une licorne africaine
Au-delà de la simple performance d’entreprise, la montée en puissance de Wave interroge la diplomatie économique des capitales africaines. Dakar, Abidjan ou Lomé y voient une illustration de l’attractivité nouvelle du marché numérique francophone. À Brazzaville, les décideurs observent avec intérêt l’effet d’entraînement potentiel sur l’innovation domestique et sur l’inclusion financière, thématiques alignées avec la stratégie gouvernementale de diversification de l’économie hors pétrole.
En filigrane, le financement orchestré par des banques et fonds de développement occidentaux signale un repositionnement des partenaires traditionnels face à l’activisme de nouveaux bailleurs venant d’Asie et du Golfe. La compétition douce qui s’installe pourrait offrir aux États riverains du Congo un arbitrage favorable dans la quête de ressources pour leurs projets d’infrastructure numérique.
Perspectives régionales et coopération Sud-Sud
La trajectoire de Wave rappelle que la consolidation du secteur fintech passe par des alliances régionales. Des discussions exploratoires existent déjà avec des opérateurs d’Afrique centrale pour des passerelles transfrontalières de paiements instantanés. Une telle interconnexion, défendue par la Banque des États de l’Afrique centrale comme par la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest, pourrait fluidifier les échanges commerciaux intrarégionaux, dynamisant ainsi la Zone de libre-échange continentale africaine.
D’un point de vue géopolitique, l’émergence d’acteurs panafricains de la taille de Wave contribue à forger une souveraineté numérique partagée. Elle réduit la dépendance aux circuits de paiement extra-continentaux tout en créant des opportunités de coopération Sud-Sud, notamment avec la République du Congo qui développe sa propre feuille de route pour l’économie numérique. Dans le contexte actuel de fragmentation des chaînes de valeur, l’essor de solutions financières indigènes représente un atout stratégique non négligeable pour la stabilité et la prospérité régionales.
