Nouvelle Agence pour une économie inclusive
Annoncée devant les sénateurs, l’Agence nationale pour la transformation de l’économie informelle, ou Antei, cristallise désormais l’ambition congolaise de mieux intégrer les acteurs de rue, les artisans et les micro-commerçants dans les circuits officiels. Son adoption parlementaire rappelle la priorité accordée par Brazzaville à la modernisation productrice de recettes.
Le texte, débattu lors de la sixième session ordinaire, confère à l’agence personnalité morale et autonomie financière. Ces attributs juridiques doivent lui permettre de négocier, concevoir et surveiller des programmes de formalisation sans lourdeurs administratives, tout en restant imputable devant le Parlement.
Aux yeux des observateurs, l’Antei pourrait devenir la pierre d’angle d’un écosystème qui manquait jusque-là de coordination. En favorisant l’enregistrement volontaire grâce à une taxe unique forfaitaire, elle espère réduire l’asymétrie d’information entre autorités fiscales et entrepreneurs informels, préjudiciable à la mobilisation domestique et donc au budget national.
Enjeux macroéconomiques de la formalisation
Selon la Banque mondiale, l’économie informelle représenterait encore plus de 40 % du PIB congolais. Sa formalisation graduelle constitue donc un levier essentiel pour diversifier les recettes hors pétrole et rendre plus prévisible la trajectoire budgétaire, condition appréciée des bailleurs multilatéraux engagés dans la consolidation macroéconomique.
À court terme, le basculement d’activités vers le registre officiel pourrait élargir l’assiette fiscale sans alourdir la pression sur les entreprises déjà formelles. À moyen terme, la statistique améliorée facilitera l’élaboration de politiques industrielles ciblées et le suivi des Objectifs de développement durable pour la décennie en cours.
L’exemple rwandais, souvent cité, montre qu’une taxe simplifiée adossée à des droits sociaux élémentaires peut faire basculer plus de la moitié des micro-unités en trois ans. Brazzaville ambitionne une performance similaire, tout en reconnaissant la singularité de son tissu économique et démographique.
Dimension sociale et genre
La ministre Inès Nefer Ingani Voumbo Yalo souligne qu’environ 70 % des travailleurs informels sont des femmes. L’Antei est donc pensée pour répondre à leurs attentes : couverture santé, accès facilité au crédit et formation à la gestion, gages d’autonomisation et de sécurité professionnelle accrues dans tout le pays.
Les sociologues rappellent que la formalisation n’est pas seulement financière. Elle confère un statut juridique protégeant contre les confiscations arbitraires et favorise l’adhésion aux caisses de retraite. En retour, l’État obtient des données précises qui éclairent mieux les politiques publiques ciblant la jeunesse et les territoires ruraux.
Au-delà, le projet promeut l’inclusion bancaire. Des discussions avancées avec la Banque postale du Congo prévoient l’ouverture de comptes simplifiés liés au numéro d’identification unique. Cet arrimage numérique devrait réduire les coûts de transfert, levier important pour les diasporas qui soutiennent financièrement les micro-entreprises familiales du pays profond.
Coordination interinstitutionnelle et partenaires
La réussite dépendra d’une coordination serrée entre le ministère des Finances, l’Agence de régulation des marchés publics et la Caisse nationale de sécurité sociale. Un comité technique interministériel devrait être installé dès le quatrième trimestre afin d’éviter les doublons et harmoniser les plateformes de collecte.
Pour les bailleurs, la gouvernance sera centrale. La Banque africaine de développement envisage une ligne de crédit de dix millions d’euros dédiée aux outils numériques d’enregistrement. Le Programme des Nations unies pour le développement apporterait, lui, une assistance technique pour la cartographie des filières prioritaires et l’évaluation d’impact.
De son côté, le secteur privé organisé, représenté par le patronat, insiste pour que la taxe forfaitaire reste compétitive afin de ne pas créer de désincitation. Un dialogue public-privé trimestriel est prévu, soutenu par la Chambre de commerce, pour ajuster rapidement le dispositif réglementaire selon les retours terrain.
Perspectives régionales et diplomatiques
L’intégration sous-régionale offre un champ d’expansion. La zone de libre-échange continentale africaine valorise déjà la certification d’origine. En aidant des PME à se formaliser, l’Antei leur ouvre potentiellement les marchés voisins, tout en renforçant la position négociatrice du Congo dans les enceintes économiques de la CEEAC et AU.
D’un point de vue diplomatique, la réforme cadre avec l’agenda 2063 de l’Union africaine, qui met l’accent sur l’emploi jeune et le développement des chaînes de valeur locales. Brazzaville pourra ainsi présenter des résultats concrets lors du prochain sommet, consolidant son image de réformateur pragmatique aux partenaires stratégiques internationaux.
Le dialogue Sud-Sud est également sollicité. Des délégations béninoises et ivoiriennes ont déjà exprimé leur intérêt pour un partage d’expériences. Cette coopération horizontale pourrait déboucher sur des programmes conjoints d’échange de données et de renforcement des capacités en matière d’administration fiscale dématérialisée dans la sous-région immédiate.
Vers une transformation durable
En définitive, le vote sénatorial dote le Congo d’un instrument stratégique pour canaliser l’énergie entrepreneuriale souvent invisibilisée. Si la mise en œuvre confirme les promesses initiales, l’Antei pourrait devenir un modèle régional de formalisation progressive, conciliant justice sociale, efficacité fiscale et attractivité pour l’investissement direct privé durable futur.