La rente pétrolière, un rempart de moins en moins fiable
Depuis un demi-siècle, le Gabon avance sur un coussin d’or noir dont la volatilité dicte la santé de ses finances publiques. Dans son dernier communiqué, Fitch Ratings rappelle que le PIB par tête dépasse la moyenne régionale, mais précise aussitôt que cette performance repose « sur une manne hydrocarbure instable et en déclin relatif ». La chute graduelle des cours, couplée à une production qui plafonne, réduit la capacité de Libreville à absorber les chocs extérieurs. Les efforts de diversification, maintes fois proclamés, demeurent embryonnaires, et l’économie reste tributaire d’une seule colonne vertébrale fiscale : quelque 45 % des recettes courantes proviennent encore du pétrole selon le ministère des Finances.
Pression électorale et générosité budgétaire
Les échéances politiques récentes ont nourri une dynamique dépensière. Les chiffres avancés par Fitch font état d’une hausse des dépenses publiques de 15 % en 2024, année marquée par l’activisme social du nouveau pouvoir de transition. Salaires revalorisés, chantiers routiers visibles et subventions ciblées répondent à une logique de légitimation interne, mais creusent un déficit attendu à 2,5 % du PIB. Derrière le volontarisme s’abritent des pratiques comptables plus opaques : le Trésor a repoussé une partie de la facture en accumulant des arriérés équivalant à 2,8 % du PIB, dont près des deux tiers vis-à-vis de créanciers extérieurs.
Arriérés : la zone grise qui mine la crédibilité financière
Pour les investisseurs, les retards de paiement constituent un signal d’alarme plus fort que le niveau de dette lui-même. Fitch observe que « la plupart des arriérés intérieurs seront comptabilisés comme dette à échéance sept ans, sans intérêt », un artifice qui améliore ponctuellement la trésorerie mais dégrade la transparence. Les grandes entreprises de BTP locales, souvent dépendantes des commandes publiques, se trouvent prises en étau entre des créances figées et une inflation importée par la dépréciation du franc CFA sur le marché parallèle. Ce climat nourrit un cercle vicieux de méfiance : coûts de financement plus élevés, délais d’exécution rallongés, et in fine retard de livraison des infrastructures censées soutenir la croissance.
Accès aux bailleurs : un dégagement prudent mais conditionné
Le renversement institutionnel d’août 2023, puis la présidentielle d’avril dernier, ont rouvert un dialogue avec les bailleurs multilatéraux. La Banque africaine de développement a réitéré son intérêt pour un appui budgétaire, sous réserve d’un audit des arriérés intérieurs et d’une cadence soutenue des réformes relatives au code des marchés publics. Toutefois, la notation « CCC » maintient les marges de manœuvre étroites sur les marchés internationaux : les investisseurs exigent désormais un rendement supérieur à 14 % pour le papier souverain gabonais, un coût prohibitif comparé au financement concessionnel. En parallèle, la Banque des États de l’Afrique centrale limite l’exposition des banques locales aux titres d’État, freinant le recours au marché régional.
Scénarios à moyen terme : ajustement douloureux ou inertie périlleuse
Le gouvernement s’engage à équilibrer le budget hors investissement dès 2026, hypothèse qui suppose une discipline salariale stricte et une rationalisation des subventions. Les projections de Fitch envisagent néanmoins un déficit persistant autour de 2,1 % du PIB, reflet d’une croissance attendue sous 3 % en 2025 en raison du ralentissement de la demande chinoise et de la normalisation des cours du manganèse. La dette publique devrait, elle, stagner autour de 75 % du PIB, niveau jugé critique pour une économie vulnérable aux chocs exogènes. Sans relance vigoureuse du secteur non extractif, la trajectoire reste fragile : un choc pétrolier baissier de dix dollars ferait bondir la dette de quatre points de PIB, calcule un banquier de la région.
Implications régionales et diplomatiques
La soutenabilité financière gabonaise dépasse la seule dimension nationale. Dans l’espace CEMAC, Libreville représente l’un des principaux émetteurs de titres publics et influe sur la liquidité bancaire régionale. Une détérioration brutale de ses comptes ferait grimper les primes de risque pour l’ensemble des pays membres, compliquant la normalisation monétaire engagée par la BEAC. Sur le plan diplomatique, les partenaires européens, soucieux de stabilité dans le golfe de Guinée, poussent discrètement pour un accord formel avec le FMI, perçu comme un ancrage de crédibilité. « Les autorités doivent transformer le discours de souveraineté en réformes mesurables », confie un diplomate français en poste à Libreville.
Entre crédibilité et souveraineté budgétaire
Le Gabon se trouve à la croisée des chemins : préserver sa souveraineté budgétaire ou s’adosser plus étroitement aux filets de sécurité multilatéraux. La rente pétrolière a longtemps adouci ce dilemme, mais l’érosion des prix et la pression sociale post-transition rendent l’équation plus urgente. En refusant l’illusion d’une embellie rapide, Fitch renvoie Libreville à l’impératif de crédibilité. Reste à savoir si la classe dirigeante acceptera le coût politique d’un ajustement que les tableaux macroéconomiques rendent aujourd’hui inévitable.