Enjeux d’un mandat de dix ans
En 2015, Jean-Claude Gakosso prenait la tête de la diplomatie du Congo-Brazzaville avec une feuille de route claire : consolider les acquis de la paix interne, élargir les partenariats extérieurs et affirmer la voix congolaise dans les grandes enceintes multilatérales.
Dix ans plus tard, l’intéressé dresse un bilan qu’il veut lucide mais positif, rappelant que son pays « n’a de contentieux avec aucun État » et que la priorité demeure « le dialogue partout où il est possible », y compris avec des partenaires parfois en rivalité ouverte.
La doctrine congolaise du dialogue universel
La diplomatie congolaise s’est historiquement bâtie sur un principe de non-alignement actif, hérité des années post-indépendance. Aujourd’hui, cette posture est redéfinie en « dialogue universel », une approche qui permet de parler à Washington comme à Moscou sans renoncer aux liens particuliers avec Paris.
Cette équidistance raisonnée, que Brazzaville préfère qualifier de « fidélité à soi-même », répond aux recompositions géopolitiques actuelles. Elle offre une souplesse précieuse dans des forums tendus, du Conseil de sécurité aux sommets africains, et contribue à préserver un climat d’investissement stable.
Médiation en Libye: un leadership africain
La médiation congolaise en Libye reste la vitrine la plus visible de cette diplomatie de consensus. Sous mandat de l’Union africaine, le président Denis Sassou Nguesso a conduit, depuis 2016, des pourparlers où Brazzaville a joué l’honnête courtier entre factions rivales et puissances régionales.
Selon plusieurs observateurs, la reprise partielle de la libre circulation de Benghazi à Tripoli illustre l’efficacité d’une méthode consistant à laisser aux Libyens « le soin de décider de leur avenir ». Brazzaville y a gagné une réputation de facilitateur crédible au sein des cercles panafricains.
Partenariats stratégiques et diversification
La décennie a vu l’intensification des échanges avec des puissances émergentes. La Chine demeure le premier investisseur dans les infrastructures, tandis que la Russie a renforcé la coopération énergétique et sécuritaire. Türkiye, Qatar et Brésil se positionnent, eux, sur les secteurs agro-industriels et hôteliers.
Loin de tourner le dos à ses partenaires historiques, le Congo a maintenu un dialogue avec la France, fondé sur des projets de transition énergétique, et avec les États-Unis, notamment dans la conservation du Bassin du Congo. Ce mariage d’anciens et de nouveaux alliés traduit un pragmatisme affirmé.
La Zlecaf et le pari de l’intégration
Brazzaville a compté parmi les tout premiers États à ratifier la Zone de libre-échange continentale africaine. Pour M. Gakosso, cet engagement relève de « la même logique que l’humanisme onusien : fédérer plutôt que morceler ». Il y voit un levier pour industrialiser l’intérieur du pays.
La réussite de la Zlecaf suppose cependant des infrastructures transfrontalières et des normes communes. Brazzaville plaide pour des corridors ferroviaires reliant Pointe-Noire à la République démocratique du Congo et au Cameroun, condition, selon les experts, pour passer du commerce de rente à une véritable chaîne de valeur régionale.
Réformes internes, clef de la crédibilité
La réforme constitutionnelle de 2015, longtemps scrutée à l’international, a été présentée comme un élargissement des libertés et une meilleure représentation des territoires. Avec le recul, souligne un diplomate européen en poste à Brazzaville, « les institutions fonctionnent sans heurts majeurs, ce qui rassure les investisseurs ».
Outre l’aspect politique, les autorités ont engagé des audits de gouvernance économique, accompagnés de programmes anticorruption. Si des défis persistent, le message envoyé aux bailleurs est que la transparence avance, condition indispensable pour accéder aux nouveaux financements verts et numériques que recherchent les chancelleries occidentales.
Diplomates au cœur du dispositif
Les décrets de 2025 ayant revalorisé le statut des diplomates sont accueillis comme une reconnaissance symbolique et matérielle. Selon un conseiller, la mesure devrait attirer « de nouveaux profils polyglottes, capables de négocier aussi bien une norme phytosanitaire qu’un cessez-le-feu ».
Le ministère prévoit également la digitalisation intégrale des services consulaires pour 2027, facilitant les démarches de la diaspora. Cette modernisation, couplée au réseau d’ambassades existant, vise à faire de chaque poste une antenne économique de veille, appuyant les entreprises nationales à l’export.
Cap sur 2030: défis et perspectives
Les priorités des cinq prochaines années seront dictées par la transition énergétique et la sécurité maritime dans le golfe de Guinée. Brazzaville souhaite attirer les capitaux privés pour valoriser le gaz et protéger les voies de navigation, tout en consolidant les alliances régionales contre la piraterie.
Jean-Claude Gakosso déclare conclure son second quinquennat « avec humilité », mais les diplomates voient déjà poindre l’étape suivante : inscrire la culture de la médiation dans la formation des jeunes cadres. À terme, le Congo espère ainsi institutionnaliser un savoir-faire devenu sa marque de fabrique.
Sur le plan multilatéral, Brazzaville veut briguer un siège non permanent au Conseil de sécurité pour 2028-2029. La campagne, portée par le slogan « voix d’équilibre pour un monde juste », mettra en avant l’expérience libyenne et l’engagement environnemental du Bassin du Congo.
Reste la diplomatie culturelle, longtemps discrète. Le ministère prévoit d’ouvrir un Institut congolais à São Paulo et un autre à Séoul, afin de diffuser la rumba classée par l’UNESCO et d’enseigner le français, langue pont entre les rives africaines, européennes et asiatiques.
