Les couloirs de Genève sous le signe de la fibre africaine
Dans l’enceinte feutrée du Centre International de Conférence de Genève, habituée aux grandes manœuvres multilatérales, un accent nouveau s’est fait entendre : celui d’une Afrique qui revendique sa pleine place dans la révolution numérique. La délégation congolaise, conduite par le ministre en charge des postes, des télécommunications et de l’économie numérique, a profité du Forum sur la gouvernance francophone du numérique et de l’intelligence artificielle pour dévoiler officiellement la candidature de Luc Missidimbazi au secrétariat général de l’Union Africaine des Télécommunications (UAT). Tour à tour, diplomates, régulateurs et industriels ont mesuré l’importance de cette annonce dans un contexte où la connectivité et la cybersécurité redéfinissent la hiérarchie des puissances.
Une candidature forgée à Brazzaville
Si Genève a offert la vitrine mondiale, c’est à Brazzaville que le projet s’est structuré. Au Salon Osiane, tenu en mai dernier, Luc Missidimbazi avait déjà articulé les axes d’une stratégie fondée sur l’amélioration de la connectivité régionale, l’essor d’une économie numérique inclusive et la promotion de contenus africains. Quelques jours plus tard, à Dakar, lors de la 26ᵉ session du Conseil d’administration de l’UAT, le conseiller spécial du Premier ministre congolais a réitéré son ambition : mobiliser les États membres autour d’une vision partagée et pragmatique. Cette persévérance tranche avec la discrétion qui caractérise souvent les processus de désignation à la tête des organisations intergouvernementales.
Un discours d’unité face aux fractures numériques
Devant les ministres africains présents au Sommet mondial de la société de l’information, le candidat congolais a livré un plaidoyer qui se veut fédérateur : « L’Afrique a des talents et une jeunesse dynamique ; elle doit désormais peser, proposer et influencer », a-t-il martelé. En soulignant les fractures persistantes entre capitales hyper-connectées et zones rurales encore démunies, l’orateur a insisté sur la nécessité d’une approche continentale intégrée. L’objectif déclaré est d’amener, d’ici 2030, un taux de connectivité supérieur à 80 % sur l’ensemble du territoire africain, tout en garantissant la sécurité des données et la souveraineté technologique des États.
Les enjeux géopolitiques d’un fauteuil continental
La future élection à l’UAT ne se résume pas à un jeu de chaises musicales institutionnel. Elle cristallise des rapports de force plus larges, où infrastructures critiques et normes techniques constituent autant de leviers d’influence. Pour Brazzaville, porter un ressortissant à la direction de l’organisation équivaut à renforcer la visibilité diplomatique d’un pays longtemps réputé pour sa stabilité politique et son sens du compromis. Aux yeux de plusieurs observateurs, la candidature congolaise peut servir de trait d’union entre les grandes puissances télécoms du Maghreb, les géants anglophones d’Afrique de l’Est et le bloc lusophone émergent autour de Luanda et Maputo.
Le socle diplomatique de la transformation congolaise
Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, la République du Congo a fait de la modernisation numérique un vecteur de diversification économique et d’intégration régionale. Les onze data centers interconnectés inaugurés depuis 2021, la baisse progressive des tarifs d’accès à l’Internet mobile et les partenariats de formation conclus avec plusieurs grandes écoles françaises témoignent d’une volonté politique affirmée. À Genève, un diplomate d’Afrique centrale confie « qu’il existe, dans ce dossier, une réelle complémentarité entre la vision nationale congolaise et l’agenda de l’Union africaine ». Un argument que Brazzaville espère convertir en votes le moment venu.
Capacités techniques et impératifs de souveraineté
Au-delà du volet politique, la candidature met en avant l’expertise technique d’un pays qui a su bâtir un réseau de fibre optique transfrontalier de plus de 6 000 km, reliant la côte atlantique aux grands pôles d’Afrique centrale. Luc Missidimbazi promet d’élargir ce modèle en soutenant les projets de câbles sous-marins et dorsales terrestres portés par la Banque africaine de développement. Il plaide également pour un cadre continental de protection des données capable de dialoguer d’égal à égal avec le RGPD européen et le Cloud Act américain, afin de préserver la souveraineté numérique du continent dès la conception des infrastructures.
Les attentes des partenaires et bailleurs
Banques multilatérales, opérateurs historiques et start-ups se disent attentifs à la feuille de route congolaise. Pour ces acteurs, la stabilité macro-financière du pays et le cadre réglementaire adopté en 2023, plus attractif pour l’investissement privé, constituent des signaux positifs. Plusieurs bailleurs estiment néanmoins que la prochaine équipe dirigeante de l’UAT devra conjuguer innovation et réalisme budgétaire : la généralisation de la 5G, la sécurisation des réseaux et l’inclusion de l’intelligence artificielle dans les politiques publiques exigeront une coordination fine des financements, afin d’éviter la duplication des efforts.
Vers un consensus africain pour 2026
À l’issue des échanges genevois, le sentiment dominant est celui d’une candidature qui, sans être encore formellement adoubée, bénéficie d’un capital de sympathie non négligeable. Brazzaville mise sur le prochain sommet de l’Union africaine, en février, pour consolider les ralliements et convertir les encouragements en engagements fermes. Comme l’a résumé un expert ouest-africain des télécoms, « la course sera serrée, mais elle offre aussi l’occasion d’inscrire la transformation numérique au cœur du projet politique continental ». Dans cette perspective, la diplomatie congolaise semble résolue à démontrer, dossier après dossier, qu’alliances techniques et consensus politiques peuvent converger vers un même objectif : faire de l’espace numérique africain un vecteur de croissance, de souveraineté et de coopération renforcée.