Escalade militaire et convoitise minière à Goma
La chute partielle de Goma, annoncée par l’Alliance Fleuve Congo (AFC) et son fer de lance, le M23, résonne comme un rappel brutal de la fragilité persistante de l’est de la République démocratique du Congo. Ville charnière de près de deux millions d’habitants, Goma concentre un aéroport international, un carrefour routier vers le Rwanda et l’accès au lac Kivu. Sa prise octroierait aux insurgés un levier politique majeur et un cordon logistique de première importance.
Au-delà de la symbolique stratégique, l’offensive s’inscrit dans une compétition âpre pour les ressources. Les collines du Nord-Kivu recèlent un sous-sol truffé de coltan et de cassitérite, indispensables à l’industrie électronique mondiale. Selon un rapport d’experts des Nations unies, l’exploitation clandestine de ces minerais génèrerait pour le M23 près de 300 000 dollars mensuels, de quoi alimenter un effort de guerre durable tout en fragilisant la gouvernance économique de Kinshasa.
Le gouvernement congolais conteste encore l’ampleur de l’avancée rebelle, mais la présence d’unités insurgées dans la périphérie nord de la ville est confirmée par plusieurs observateurs onusiens. Les forces armées congolaises, épaulées par la Mission des Nations unies (Monusco) et un contingent de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), peinent à enrayer une progression éclair qui rappelle la prise de Goma en 2012 par les mêmes rebelles.
Tensions régionales et diplomatie de crise
Si le terrain militaire se joue dans les collines volcaniques du Kivu, la bataille diplomatique se déroule dans les capitales voisines. Kinshasa a annoncé la rupture de ses relations avec Kigali, accusant le Rwanda de fournir hommes et matériel au M23. Kigali dément toute implication directe et invoque la nécessité de sécuriser sa frontière face à la présence de milices hutus hostiles, héritées du génocide de 1994.
Dans ce jeu d’équilibres, le rôle des États riverains reste déterminant. Brazzaville, fidèle à sa tradition de médiation, a multiplié les consultations discrètes afin de favoriser un espace de dialogue régional. Le président Denis Sassou Nguesso a notamment rappelé l’importance d’une approche concertée, fondée sur la stabilité de l’ensemble de la région des Grands Lacs, position saluée tant à l’Union africaine qu’à la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs.
Les grandes puissances observent quant à elles une prudence calculée. Washington, qui a sanctionné le M23 depuis 2013, insiste sur la nécessité d’un « cessez-le-feu immédiat » (Département d’État américain). Pékin, principal acheteur de minerais congolais, appelle à la protection des infrastructures minières et à la « non-ingérence ». Entre ces lignes, les industriels redoutent une rupture de la chaîne d’approvisionnement en métaux critiques, tandis que les chancelleries redoutent une conflagration interétatique.
Coût humain et urgences humanitaires persistantes
L’évolution du front militaire masque souvent l’ampleur d’une crise humanitaire pourtant documentée par toutes les agences onusiennes. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés estime à plus de 400 000 le nombre de personnes déplacées depuis janvier 2025 dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Les sites de déplacés autour de Sake et de Minova débordent, exposant les populations à la promiscuité, aux maladies hydriques et à l’insécurité alimentaire.
Les hôpitaux de Goma fonctionnent en flux tendu. Dans les couloirs de l’hôpital provincial, la docteure Merveille Kavira constate « une recrudescence de traumatismes de guerre et de cas de malnutrition sévère ». Les convois d’aide humanitaire, escortés par les casques bleus marocains de la Monusco, sont régulièrement bloqués par les affrontements, compliquant l’acheminement de vivres et de médicaments.
Le gouverneur militaire du Nord-Kivu, le général Constant Ndima, a perdu la vie la semaine passée lors d’une embuscade revendiquée par une branche dissidente des Forces démocratiques alliées, soulignant la pluralité des groupes armés et l’extrême volatilité du paysage sécuritaire.
Scénarios de stabilisation et limites des accords
À l’échelle régionale, plusieurs feuilles de route ont été esquissées ces dernières années, du processus de Nairobi aux pourparlers facilités par Luanda. Leur dénominateur commun : un cessez-le-feu vérifiable et le cantonnement des combattants. Mais, comme le souligne l’analyste Dady Saleh, « tant que l’État congolais ne contrôlera ni ses territoires frontaliers ni la traçabilité de ses richesses, la tentation rebelle demeurera forte ».
La feuille de route la plus récente, présentée en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, propose un mécanisme conjoint de surveillance, associant la Communauté d’Afrique de l’Est, la SADC et l’Union africaine. Kinshasa se montre ouvert, à condition que le retrait des troupes étrangères non mandatées soit préalable. Kigali réclame, de son côté, une prise en compte des questions sécuritaires transfrontalières liées aux FDLR, tandis que la société civile congolaise insiste sur la lutte contre l’impunité et la transparence des revenus miniers.
Dans ce contexte, la sortie de crise passe sans doute par un renforcement institutionnel à Kinshasa, une coopération sécuritaire régionale inclusive et une gouvernance minière enfin assainie. Une perspective ambitieuse, mais indispensable si l’Afrique centrale veut éviter que Goma ne devienne le point de bascule d’une crise aux répercussions continentales.