Transitions militaires en Afrique de l’Ouest
Depuis Bamako jusqu’à Conakry, une nouvelle génération de putschistes promet de « refonder » la vie publique. Pourtant, à mesure que les échéances électorales approchent, la transition militaire s’éternise, nourrissant interrogations au sein des chancelleries et inquiétude parmi les investisseurs.
Illustration la plus récente, la Guinée, où le colonel Mamadi Doumbouya, arrivé au pouvoir le 5 septembre 2021, laisse filtrer l’idée d’une candidature à la présidentielle annoncée pour le 28 décembre 2025, malgré l’engagement initial de ne pas briguer de mandat.
Au-delà du cas guinéen, ces atermoiements alimentent le débat sur la résilience des institutions dans la région et sur la capacité des transitions à déboucher réellement sur un retour à l’ordre constitutionnel, condition première d’une attractivité économique durable.
La tentation du pouvoir personnel
Les chartes de transition élaborées à Conakry, Bamako ou Ouagadougou promettaient la séparation des rôles entre armée et politique. Les faits démontrent une autre logique : monopoliser les leviers de décision, contrôler les médias et verrouiller les finances publiques avant toute consultation populaire.
Au sein des sociétés civiles, la lassitude se mêle à la prudence. « Nous soutenions la rupture; aujourd’hui nous redoutons la confiscation », confie un responsable associatif guinéen, requérant l’anonymat par crainte de représailles. Son sentiment résonne à Abidjan comme à Niamey.
Les économistes rappellent que le coût d’un cycle politique incertain se mesure en points de croissance envolés. En Guinée, la caution présidentielle fixée à 900 millions de francs guinéens, soit environ 100 000 euros, restreint de fait la compétition et inquiète les bailleurs domestiques.
Le scénario guinéen décrypté
Pour préparer l’annonce, le pouvoir mise sur une mise en scène : collecte symbolique de fonds, déclarations d’associations féminines, rassemblements convenus pour « supplier » le président d’y aller, un dispositif rappelant les pratiques des années 1990 dans plusieurs capitales.
Plusieurs sources sécuritaires évoquent des convocations adressées à fonctionnaires et élèves afin de gonfler les foules. Officiellement, il ne s’agit que de « manifestations d’adhésion ». Officieusement, elles traduisent la volonté d’exhiber une légitimité populaire avant même l’ouverture officielle de la campagne.
Les partenaires internationaux observent sans condamner frontalement. La Cedeao, qui sanctionne parfois les retards électoraux, mise surtout sur la diplomatie discrète. Bruxelles, Washington et Paris redoutent qu’une approche punitive ne pousse Conakry vers des alliances sécuritaires alternatives, notamment avec Moscou.
Congo-Brazzaville, le contraste régional
À quelques centaines de kilomètres, Brazzaville affiche une stabilité institutionnelle que saluent les observateurs. Les réformes engagées depuis 2021 autour de la digitalisation des services publics et de l’attraction d’investissements forestiers soutiennent un climat plus prévisible pour le secteur privé.
Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, la République du Congo a maintenu le calendrier électoral de 2021, puis ouvert des concertations avec l’opposition parlementaire sur la décentralisation. « Notre priorité reste la cohésion nationale », résume un conseiller à la présidence.
Cette stabilité retient l’attention des bailleurs multilatéraux. En 2023, la Banque africaine de développement a validé une ligne de crédit de 210 millions USD pour l’agro-industrie et les routes, citant « la continuité des politiques publiques » comme critère.
Regards d’experts et implications économiques
Selon l’analyste togolais Kwami Gakpe, « la région se fragmente entre économies rassurantes et environnements à haut risque politique. Les entreprises adaptent leurs chaînes d’approvisionnement en conséquence, privilégiant Pointe-Noire ou Douala pour sécuriser les exportations minières guinéennes ».
La défiance des marchés envers Conakry entraîne déjà une hausse du coût de l’assurance marchandise, évaluée à 3 % du prix FOB contre 1 % il y a dix-huit mois. Ce différentiel pénalise les PME locales qui importent engrais et pièces détachées.
À l’inverse, le Congo-Brazzaville bénéficie d’un rating amélioré par Fitch en avril 2024, passé de B- à B stable. Des opérateurs télécoms et fintech y testent des solutions de paiement mobile adossées à la Banque centrale.
Et après ? Les pistes pour 2025
En Guinée, la date butoir de décembre 2025 agit désormais comme un horizon de vérité. Si le calendrier est respecté, la communauté internationale décryptera la composition de la liste électorale, la neutralité des forces de sécurité et l’ouverture de l’espace médiatique.
Un report prolongé nourrirait la lassitude citoyenne et risquerait de nouvelles restrictions économiques. Un scrutin pluraliste ouvrirait une dynamique d’investissement, notamment dans la bauxite et l’hydraulique, secteurs gelés faute de visibilité.
La leçon pour le bassin du Congo est claire : la stabilité repose moins sur la promesse de rupture que sur la prévisibilité des règles, socle que Brazzaville défend pour attirer capitaux et talents.
