Ce qu’il faut retenir
Rarement une décision budgétaire aura provoqué un tel électrochoc à Conakry. L’organe de gestion des élections a fixé à 875 millions de francs guinéens, soit environ 100 000 dollars, la somme due par toute personne souhaitant briguer la magistrature suprême en décembre prochain.
Pour les Guinéens, l’annonce marque une nouvelle étape dans la transition ouverte par le colonel Mamady Doumbouya après le coup d’État de 2021, transition qui doit, selon le calendrier officiel, rendre le pouvoir à des dirigeants civils mandatés par les urnes.
Un plafond fixé à 875 millions GNF
Le montant fixé reste proche du précédent plafond de 800 millions, mais plusieurs voix, y compris des analystes favorables au processus, espéraient un geste d’ouverture afin de stimuler la compétition lors de ce scrutin décrit comme historique par l’administration électorale guinéenne.
Kabinet Fofana, politologue, juge la barre « énorme » et estime que la décision nourrit « les critiques croissantes » entourant l’organisation. L’observateur redoute qu’un signal de fermeture apparaisse au moment même où la junte cherche à convaincre sur sa sincérité réformatrice auprès internationaux.
Selon le règlement, les candidats franchissant 5 % des suffrages au premier tour récupéreront la caution. Pour la commission, ce filtre financier garantirait la présence de profils solides et éviterait la dispersion des bulletins, argument déjà utilisé lors de précédents cycles électoraux.
Arguments avancés par la junte
Le Comité national du rassemblement pour le développement explique que l’étiquette « candidat crédible » passe aujourd’hui par la capacité à réunir des fonds de campagne. Il fixe parallèlement un plafond de dépenses de 40 milliards de francs guinéens, soit 4,6 millions de dollars à taux actuel.
Un membre du panel électoral martèle que la mesure « évite la foire aux candidatures ». D’autres justifient la somme par le coût logistique d’un scrutin national, des bulletins à la sécurisation, dans un pays où le budget public demeure sous tension depuis la pandémie.
Mémoire des cautions guinéennes
La polémique n’est pas nouvelle. Faya Millimono rappelle qu’avant 2005, la mise devait rester sous 50 millions. Le bond vers 400 millions en 2010 aurait inauguré, selon lui, « la folie » et clos la porte à de nombreuses voix issues de la société civile.
Au fil des cycles, le ticket d’entrée s’est mué pour certains en instrument de régulation, pour d’autres en barrière sociale. Les critiques soutiennent qu’il favorise les poids lourds disposant déjà d’appuis étatiques ou d’alliés économiques soucieux de protéger leurs positions.
Le regard régional
La Guinée se situe désormais parmi les pays d’Afrique dont la caution présidentielle figure dans le haut du tableau. Le Nigeria avait fixé le ticket à 100 millions de nairas en 2022, tandis que le Cameroun demande 53 000 dollars et la Côte d’Ivoire 90 000 dollars.
La comparaison ne suffit pas à calmer les critiques guinéennes, d’autant que le niveau de vie local rend l’effort relatif plus lourd qu’à Abuja ou Yaoundé. Pour un fonctionnaire moyen, il faudrait plus de 150 ans de salaire cumulé pour s’acquitter d’une telle somme.
Les défenseurs du plafond rétorquent que la dynamique régionale impose d’aligner les conditions, sous peine de voir surgir des candidatures fantaisistes. Ils soulignent aussi la possibilité de collecte citoyenne ou de partenariats politiques pour mutualiser la charge financière.
Scénarios et après ?
À ce jour, une cinquantaine de dossiers de partis et seize indépendants ont reçu l’aval provisoire de la commission. Les grandes formations de Condé, Diallo et Sidya Touré manquent encore à l’appel, même si la fenêtre d’enregistrement demeure ouverte.
Le tableau qui se dessine pourrait conduire la transition vers un scrutin dominé par de nouveaux visages. Certains observateurs y voient l’occasion de renouveler l’offre politique, d’autres alertent sur le risque d’une représentativité amputée de figures façonnées par de longues années d’opposition.
Les scénarios varient. Si le plafond n’est pas revu, la campagne pourrait se focaliser sur quelques ténors capables de mobiliser des financements rapides. Un réajustement de dernière minute reste possible, mais aucune indication officielle ne va aujourd’hui dans ce sens.
À Conakry, la société civile se cherche déjà des stratégies d’expression. Radios privées, réseaux sociaux et cercles universitaires multiplient les rencontres pour détailler les programmes des prétendants, bien décidés à soumettre l’ensemble des dossiers à l’épreuve de la transparence et de la redevabilité.
La question centrale demeure donc moins le montant que la confiance envers le processus. Si les électeurs perçoivent cette présidentielle comme un pas crédible vers le retour à l’ordre constitutionnel, le coût, aussi élevé soit-il, pourrait être relativisé par les symboles de stabilité.
Dans l’immédiat, les regards se tournent vers le colonel Doumbouya, habilité par la nouvelle constitution à concourir. Son silence entretenu depuis l’adoption du texte alimente les conjectures, entre promesse de neutralité arbitrale et possibilité d’une candidature présentée comme d’unité nationale.
Au-delà de la polémique, la transition joue son crédit international. Les partenaires multilatéraux suivent l’évolution du calendrier et de la loi électorale, conscients que la stabilité économique de la Guinée dépendra de la perception de l’inclusivité du prochain scrutin national.
