Ce qu’il faut retenir
Parti des caravanes de chameaux du désert, Mohamed Hamdan Dagolo, alias Hemedti, dirige aujourd’hui les Forces de soutien rapide, milice devenue acteur clé du conflit soudanais. Sa fortune, ses appuis du Golfe et son contrôle de l’or lui offrent un pouvoir que l’armée peine à endiguer.
Des marchés de chameaux au premier Kalachnikov
Enfant du clan Mahariya, établi au Darfour dans les années 1980, Hemedti quitte précocement l’école et traverse le Sahara pour acheter et vendre des chameaux jusqu’en Libye. Le vide sécuritaire forge son instinct de survie et ses premiers liens avec les milices Janjawid.
Lorsque la rébellion éclate en 2003, son unité participe aux expéditions punitives appuyées par le régime d’Omar el-Béchir. Des rapports de l’Union africaine accusent son groupe d’avoir incendié le village d’Adwa en 2004, causant 126 morts, dont 36 enfants.
Or et Janjawid : les leviers financiers
À partir de 2009, Hemedti exploite les dissensions internes pour négocier soldes et promotions. Il obtient des blindés, puis la responsabilité de la mine artisanale de Jebel Amir. Par l’intermédiaire de la société familiale Al-Gunaid, il devient en quelques années premier exportateur d’or du pays.
Cette manne lui sert à payer hommes et véhicules, mais aussi à nouer une relation déterminante avec le président émirati Mohamed ben Zayed. Des colonnes de recrues soudanaises, attirées par une prime atteignant six mille dollars, sont envoyées combattre au Yémen sous la bannière des RSF.
L’alliance avec Khartoum puis les Émirats
Adoubé par Béchir en 2013, Hemedti obtient la légalisation de sa force, rebaptisée Forces de soutien rapide et placée directement sous l’autorité présidentielle. Uniformes neufs, pick-ups Toyota montés de canons et salaires réguliers transforment les anciens éleveurs en colonne vertébrale sécuritaire du régime.
Mais l’équilibre se fragilise. En 2019, alors que la contestation civile encercle le quartier général de l’armée, Béchir ordonne la répression. Burhan et Hemedti retournent l’ordre et déposent le président, s’érigeant en garants d’une transition que les manifestants jugent aussitôt confisquée.
De la révolution à la guerre des généraux
Quelques semaines plus tard, la dispersion sanglante du sit-in de Khartoum, documentée par Human Rights Watch, ternit radicalement l’image du général. Pourtant, sous pression internationale, un compromis civilo-militaire se met en place avant d’être rompu lors du putsch d’octobre 2021.
Le divorce éclate autour du calendrier d’intégration des RSF dans l’armée régulière. En avril 2023, les unités d’Hemedti encerclent les casernes de Khartoum. La tentative échoue, mais la capitale se transforme en champ de bataille, poussant des millions d’habitants à l’exode.
Le Darfour, théâtre d’une nouvelle tragédie
Dans l’Ouest, la violence se rallume avec une intensité tragique. Les RSF et des milices alliées ciblent les communautés Masalit autour d’el-Geneina. L’ONU avance le chiffre de quinze mille civils tués, tandis que Washington emploie le terme de génocide, accusation démentie par les commandants RSF.
Fin 2024, la conquête d’el-Fasher, dernier bastion de l’armée au Darfour, offre à Hemedti un corridor quasi continu de l’ouest soudanais jusqu’à Khartoum. Des drones fournis selon plusieurs enquêtes via une base au Tchad, approvisionnement nié par Abou Dhabi, jouent un rôle décisif.
Au-delà des combats, les RSF ouvrent des « marchés Dagolo » où sont écoulés véhicules, bétail et biens ménagers récupérés lors des pillages. Certaines cargaisons traversent la frontière tchadienne, alimentant une économie grise qui consolide la trésorerie de la milice.
Scénarios de sortie de crise
Tandis que l’armée conserve Port-Soudan et la façade maritime, les belligérants se neutralisent sur le plan militaire. Hemedti annonce à la radio le lancement d’un « gouvernement de paix et d’unité » parallèle, geste qui lui permet aussi de tester une légitimité encore incertaine.
Il a ordonné l’ouverture d’enquêtes internes sur les exactions attribuées à ses troupes. Nombre de défenseurs des droits humains y voient une stratégie de communication destinée à préparer une négociation internationale, voire une amnistie, plutôt qu’une véritable volonté de justice.
Et après ?
Les Soudanais s’interrogent sur les ambitions réelles du général. Veut-il rassembler le pays, instaurer un État au-delà du Nil occidental ou simplement garantir ses intérêts dans l’or et les leviers sécuritaires ? Rien, pour l’heure, n’indique une sortie rapide du face-à-face.
Tant que l’impunité et les flux d’argent resteront intacts, Hemedti compte sur un atout majeur : la fragmentation politique et le désintérêt relatif des grandes puissances. Ce pari sur la lassitude internationale pourrait prolonger un conflit déjà qualifié de pire crise humanitaire africaine actuelle.
Le point économique
Depuis Jebel Amir jusqu’aux raffineries clandestines proches du Nil, l’or soudanais voyage vers Dubaï où il est mêlé à d’autres provenances avant d’entrer sur les marchés mondiaux. Selon des économistes locaux, cette filière clandestine représenterait plus d’un milliard de dollars par an, chiffre en hausse constante.
Regard d’expert
Pour Alex de Waal, qui dirige la World Peace Foundation, le personnage doit être compris comme « un entrepreneur de la guerre » plutôt que comme simple bandit. Sa survie repose, dit-il, sur la capacité à monnayer force militaire, protection, accès aux ressources stratégiques et appuis diplomatiques.
